C'est à un point de vue purement pittoresque et fantaisiste que
nous nous proposons de considérer ici les typographes[1] , laissant de coté ce qui est
exclusivement professionnel et technique.
Il est presque inutile de le dire, les fils de Gutenberg constituent une
espèce complètement moderne, sans analogue dans les temps
anciens: ni les librarii de Rome, qui transcrivaient les livres; ni les
notarii, qui recueillaient les discours et les plaidoyers
prononcés devant le peuple assemblé; ni les scribes, ni les
copistes, ni les enlumineurs de missels du moyen âge, ne sont comparables
ou assimilables aux typographes de nos jours.
Il est donc tout d'abord
indispensable de définir exactement ce qu'il faut entendre par le mot
typographe. Pour le vulgaire, pour les gens du monde, d'après le
Dictionnaire de l'Académie même, un typographe est " celui
qui sait, qui exerce l'art de l'imprimerie, et, plus spécialement, tous
les arts qui concourent à l'imprimerie; " mais, pour les initiés,
pour ceux qui sont de la boîte, comme on dit, pour les enfants
de la balle, ce mot n'a plus la même extension. Ne sont pas
typographes tous les ouvriers employés dans une imprimerie: celui seul
qui lève la lettre, celui qui met en pages, qui impose, qui
exécute les corrections, en un mot qui manipule le caractère, est
un typographe; les autres sont les imprimeurs ou pressiers, les conducteurs de
machines, les margeurs, les receveurs, les clicheurs, etc. Le correcteur
lui-même n'est typographe que s'il sait composer, et cela est si vrai que
la Société typographique ne l'admet dans son sein que comme
compositeur, et non en qualité de correcteur.
Voici ce que dit sur ce sujet M. Jules Ladimir, dans une étude remplie
de verve et d'esprit, écrite il y a quelque trente ans: " Il y a des
ignorants qui confondent le compositeur avec l'imprimeur. Gardez-vous-en bien!
cela est erroné et peu charitable. L'imprimeur proprement dit, le
pressier, est un être brut, grossier, un ours, ainsi que le
nomment (ou plutôt le nommaient) les compositeurs. Entre les deux
espèces, la démarcation est vive et tranchée, quoiqu'elles
habitent ensemble cette sorte de ruche ou de polypier qui porte le nom
d'imprimerie. La blouse et le bonnet de papier ont souvent ensemble
maille à partir; et pourtant ils ne peuvent exister l'un sans l'autre:
le compositeur est la cause, l'imprimeur est l'effet. La blouse professe un
mépris injurieux pour ce collaborateur obligé qu'elle foule sous
ses pieds; car les imprimeurs, avec leurs lourdes presses, sont
relégués à l'étage inférieur. Mais le bonnet
de papier, dont les gains sont souvent plus forts et plus réguliers que
ceux de son antagoniste, s'en venge en lui appliquant l'épithète
de singe , soit à cause des gestes drolatiques que fait en
besognant le compositeur, soit parce que son occupation consiste à
reproduire l'oeuvre d'autrui. "
Dans le passage que nous venons de citer, le typographe est parfaitement
défini; mais ce qui regarde le pressier a cessé d'être
vrai; le pressier, en effet, a presque disparu partout; il a été
remplacé par le conducteur de machines, lequel n'est, en
général, que très peu supérieur à son
devancier. Ses gains se sont accrus; mais sa culture intellectuelle n'a pas
suivi une marche ascendante analogue. Mieux rétribué que le
typographe proprement dit, nous devons cependant reconnaître qu'il lui
est encore inférieur sous le rapport des idées et des
aspirations. Nous avons rencontré toutefois des individualités
remarquables à tous égards et qui deviennent, de jour en jour
plus nombreuses.
Au point de vue de la hiérarchie, les typographes peuvent être
rangés sous trois catégories: le prote, le metteur en
pages et le paquetier; mais ces distinctions sont, à vrai
dire, à peu près fictives: un prote peut perdre son emploi et
redevenir metteur en pages ou chef de conscience. Il n'est pas rare de voir un
metteur en pages reprendre la casse et lever la lettre comme à ses
débuts. Nous avons connu un ancien metteur du Moniteur universel
que le décret de M. Rouher a atteint en retirant à ce journal sa
qualité officielle, et qui, plus tard, pompait les petits clous
à la pige comme les camarades, côte à côte avec
ses anciens paquetiers: il était redescendu au rang de simple
plâtre, après avoir durant des années
émargé les appointements d'un préfet de première
classe.
L'importance des fonctions de prote et le rôle
prépondérant qu'il joue dans l'atelier typographique nous
engagent à écrire tout d'abord la monographie de ce personnage.
Dans les premiers siècles de l'imprimerie, les fonctions de maître
imprimeur, de prote et de correcteur, remplies aujourd'hui par trois personnes
différentes, étaient exercées par le même individu.
C'était d'ordinaire un savant de premier ordre, connaissant
l'hébreu, le grec, le latin et quelques langues vivantes, les sciences,
et, de plus, fort expert dans l'art typographique. Il nous suffira de citer
quelques noms de maîtres imprimeurs qui furent en même temps protes
et correcteurs: Nicolas Janson, graveur à la Monnaie de Tours,
envoyé à Mayence par Charles VII pour étudier le nouvel
art, et qui plus tard s'établit à Venise; Alde Manuce, à
Venise; les Junte, à Florence; Guillaume Le Roy, à Lyon; les
Plantin, à Anvers; les Caxton, en Angleterre; Conrad Bade, à
Genève; les Elzevier, à Leyde; Simon Vostre, Antoine Verard,
Simon de Collinée, les Estienne, le malheureux Dolet, les Didot, en
France. Aussi ne se lasse-t-on pas d'admirer les ouvrages si purs, si corrects,
exécutés avec tant de soin, sortis des mains de ces artistes
célèbres. À cette grande époque, que l'on peut
appeler l'âge d'or de la typographie, le prote méritait
réellement son nom: il était bien le premier en savoir et
en science; c'était bien lui la cheville ouvrière de l'atelier,
et tous les compositeurs qui l'entouraient, eux-mêmes lettrés pour
la plupart, reconnaissaient sans conteste sa suprématie en même
temps que son autorité. Le public de nos jours a, jusqu'à un
certain point, conservé au prote cette haute estime, et il confond
presque toujours ses attributions avec celles, pourtant distinctes, du
correcteur. L'Académie elle-même a commis cette confusion; car,
après avoir défini le prote " celui qui, sous les ordres de
l'imprimeur, est chargé de diriger et de conduire tous les travaux, de
maintenir l'ordre dans l'établissement et de payer les ouvriers, " elle
ajoute: " Il se dit aussi de ceux qui lisent et corrigent les épreuves.
" N'en déplaise à la docte compagnie, si la première
partie de sa définition est exacte, nous récusons
complètement la seconde, qui est fausse.
À mesure que l'art déclina pour faire place au métier,
à mesure que l'imprimerie descendit au rang des industries, les
fonctions se divisèrent: le maître imprimeur passa à
l'état de patron, c'est-à-dire de fabricant de livres; le
correcteur devint ce que nous dirons plus loin; le prote se transforma en ce
qu'il est aujourd'hui: un ouvrier actif et intelligent, choisi par le patron
pour diriger le travail des compositeurs, ses anciens confrères. " Le
prote, dit Momoro, c'est le chef ou directeur d'une imprimerie. La
personne qui remplit cette place est supposée avoir des talents
au-dessus du commun des ouvriers. Dans les premiers temps de l'imprimerie, des
gens savants n'ont point dédaigné cet emploi. Aujourd'hui, on
choisit parmi les compositeurs ceux qui réunissent les talents les plus
propres à remplir cette place. Prote vient du grec protos,
premier. Je dirai, ajoute Momoro, qu'un prote est primus inter pares, le
premier parmi ses égaux. " Voici de quelle manière M. Audouin de
Géronval, dans son Manuel de l'Imprimeur, détermine, de
son côté, le rôle du prote: " Le prote est celui sur
lequel roulent tous les détails d'une imprimerie. Il est chargé
de veiller sur les compositeurs et sur les imprimeurs; il doit connaître
parfaitement le degré d'habileté des uns et des autres. En ce qui
concerne la composition, le prote doit avoir quelques notions des langues
grecque et latine (ces notions font ordinairement défaut),
posséder à fond l'orthographe française et la ponctuation,
connaître et savoir exécuter tous les genres de composition. Quant
à l'impression, il doit avoir assez d'habileté pour diriger le
travail des ouvriers à la presse dans toutes ses parties. " Pour ce qui
est des qualités suivantes, requises, suivant Audouin de
Géronval, pour faire un bon prote, elles se rencontrent rarement chez
ceux qui aujourd'hui exercent ces fonctions, et l'on voit aisément que
l'auteur du Manuel de l'Imprimeur confond ici le prote avec le
correcteur. Il dit, en effet: " Le prote ne saurait avoir des connaissances
trop étendues dans les lettres, les sciences et les arts, car il est
souvent consulté par les auteurs et quelquefois même devient leur
arbitre. Comme il est, en quelque sorte, responsable des fautes qui peuvent se
glisser dans une édition, il faudrait qu'il connût, autant qu'il
est possible, les termes usités et qu'il pût savoir à
quelle science, à quel art et à quelle matière ils
appartiennent. Il n'arrive que trop souvent qu'un auteur, pour se justifier de
ses propres fautes, les rejette sur son imprimeur. En un mot, on exige du prote
qu'il joigne le savoir d'un grammairien à l'intelligence
nécessaire pour exécuter toutes les opérations de la
partie manuelle de son art." Le prote doit encore veiller à ce que le
bon ordre et la décence règnent dans les ateliers, à ce
que les casseaux soient bien tenus, que les fonctions de la conscience
soient remplies avec activité, que les épreuves ne subissent
jamais le moindre retard, etc. Le prote doit assister le chef de
l'établissement dans le payement des ouvriers et servir d'arbitre dans
les discussions qui peuvent s'élever. Il peut encore être
chargé de la correspondance de l'imprimerie avec les personnes qui y ont
des relations. Il expédie les épreuves et doit toujours pouvoir
rendre compte exactement de la situation de chaque ouvrage. Tous les ouvriers
d'une imprimerie se trouvant placés dans une dépendance
réciproque, le prote doit veiller à ce que toutes les
pièces de ce rouage agissent simultanément; car, si l'une d'elles
devenait stationnaire, les travaux seraient arrêtés. Il admet dans
les ateliers les ouvriers qu'il en juge dignes et remplace ceux qui sont
nuisibles ou inutiles à l'établissement.
Le prote peut se faire suppléer partiellement par des
sous-protes, qui en réfèrent à ses
décisions. " Les devoirs d'un sous-prote de composition sont de
veiller à ce que les compositeurs reçoivent et rendent à
propos la distribution, à la formation des garnitures, au rangement des
cadrats, des interlignes et lingots et de tous les autres accessoires, au
réassortiment des caractères, à la composition des
pâtés, etc. Un sous-prote de presses est chargé d'inspecter
fréquemment le travail des imprimeurs, d'empêcher le gaspillage du
papier, des étoffes ou de l'encre, de veiller à l'entretien des
presses et de suivre dans tous ses détails cette partie importante de la
typographie. Les sous-protes sont responsables à l'égard du prote
de l'exécution des travaux dont celui-ci leur transmet la surveillance
spéciale, comme il l'est lui-même envers le chef de l'imprimerie.
Ces deux sortes d'emplois, qui ne s'accordent généralement
qu'à des personnes éprouvées sous le rapport du
caractère et du savoir, demandent, en outre, de la part de celles qui y
arrivent, du sang-froid et de l'activité. " (Henri Fournier,
Traité de la typographie.)
Dans un Discours, prononcé le 6 avril 1856 à la
Société fraternelle des protes des imprimeries typographiques de
Paris, M. Alkan aîné s'exprimait en ces termes: " Pour devenir le
premier (protos ) d'une imprimerie typographique, y tenir le premier
rang, il faut posséder des connaissances variées; il faut pouvoir
être la doublure du patron, son alter ego, cet autre
lui-même, pour me servir de l'expression de M. Ambroise Didot, le digne
émule des Estienne, notre maître à tous[Sinvcircumflex]; il
faut être typographe quand le patron ne l'est pas ou ne peut
l'être; il faut avoir du goût pour ceux qui n'en ont pas; il faut
être correcteur quand celui-ci vient à manquer, à faire
défaut; il faut avoir l'oeil typographique et saisir au vol ces
fautes bizarres, singulières, qui échappent souvent à
l'oeil exercé, mais fatigué, du correcteur, et qui font le
désespoir de l'auteur et la risée du public lettré. Il
faut que le prote sache aussi la tenue des livres quand son patron ne veut pas
initier un étranger à ses affaires, ou lorsqu'il est
obligé, par économie, de se passer d'un commis. " Un tel prote,
même réduit à ces modestes proportions, est encore, nous
devons le dira, le rara avis. C'est ce que fera comprendre le passage
suivant, emprunté à l'Encyclopédie Roret, et dans
lequel un prote, qui a gravi et redescendu successivement les échelons
de l'échelle typographique, exhale ses plaintes et retrace
l'instabilité de la situation: " Le prote est l'esclave de la
besogne; à quelque heure que sa présence soit
réclamée par l'urgence des travaux, s'il ne se conforme pas
à ce besoin, son devoir n'est pas rempli complètement; il est
même telles circonstances où sa discrétion obligée
l'expose à être comme une enclume sur laquelle frappent tour
à tour et souvent à la fois auteurs, libraires, ouvriers, etc. La
proterie offre un emploi fort ingrat d'ailleurs sous le rapport de son
instabilité. Chargé pendant quelques années de surveiller
un personnel parfois nombreux, de coopérer forcément à la
réduction d'un prix, ou seulement d'empêcher sa hausse, de
s'opposer aux abus ou de les réprimer, de débaucher plus
ou moins de personnes pour absences trop fréquentes ou pour de mauvais
travaux, il peut arriver qu'un prote rentre tout à coup dans les rangs
des ouvriers; il y retrouve ces gens froissés, dont le ressentiment se
manifeste en reproches directs ou indirects, mais fondés sur des griefs
que l'on suppose dénués de justesse. Cette
considération et d'autres analogues n'échappent pas à tous
les protes et peuvent les déterminer plus d'une fois à modifier
la rigueur de leurs devoirs; tout le monde ne se croit pas obligé de
suivre la devise: " Fais ce que dois, advienne que pourra. " D'ailleurs,
sacrifier la tranquillité d'un long avenir par des rigueurs actuelles
dont on n'est que l'agent et qui tiennent là un temps limité par
la rétribution n'est peut-être pas absolument de devoir
étroit. De là une certaine tiédeur, plus que cela
peut-être , à laquelle la stabilité parerait
convenablement: on peut facilement déduire cette conséquence,
quand on remarque que les protes qui remplissent le mieux leurs devoirs sont
ceux dont la position est la plus stable. "
L'auteur de Typographes et gens de lettres reconnaît dans le genre
prote deux variétés: le prote à tablier et
le prote à manchettes. Le prote à tablier se trouve
généralement dans les imprimeries que le patron dirige
lui-même. C'est ordinairement un ouvrier intelligent et laborieux,
vieilli dans la maison et sous 1e harnais, que le patron appelle à ce
poste afin qu'il soit occupé à l'instar des rois
fainéants. Le prote à tablier ne peut s'accoutumer aux grandeurs,
et il ne cesse de vaquer à ses anciennes occupations, ce qui lui est
d'autant plus facile que, grâce au patron, les soucis de sa nouvelle
dignité ne l'occupent guère. En revanche, son autorité est
à peu près nulle, et il a d'ordinaire le bon esprit de ne pas
s'en prévaloir, certain qu'il est que ses anciens camarades ne
manqueraient pas de la contester... Le prote à tablier peut avec assez
de justesse être comparé à l'adjudant d'un régiment.
N'ayant rien à faire, il tient cependant à faire ressortir son
utilité et son importance; mais il rencontre partout et toujours cette
résistance inerte et tacite de gens qui, niant son autorité, ne
reconnaissent que celle du patron. Au demeurant, le meilleur homme du monde, il
sait conserver l'amitié de ses anciens camarades.
Le prote à manchettes est le véritable prote. C'est lui
que nous avons eu en vue dans le cours de cette esquisse.
On le voit, pour n'être plus les émules des Alde, des Elzevier,
des Robert Estienne et de tant d'autres, les protes d'aujourd'hui ont encore un
champ assez vaste à parcourir, et plusieurs d'entre eux le font avec
honneur. Nous citerons, entre autres: M. Brun, ancien prote de l'imprimerie de
Jules Didot, qui a donné en 1825 un Manuel pratique et
abrégé de la typographie française; M. Henri Tournier,
naguère prote directeur de l'imprimerie la plus vaste et la plus
considérable, non seulement de France, mais encore de toute l'Europe,
celle de Mame et Cie de Tours, qui a publié un excellent
Traité de la typographie, dont la troisième Édition
(Tours, Alfred Mame et fils, 1870) est la plus complète; M. Frey, qui a
donné à 1'Encyclopédie Roret un très bon
Manuel de typographie; M. Théotiste Lefèvre, fondateur
prote de la succursale de MM. Didot, auquel les compositeurs sont redevables du
Guide pratique du compositeur d'imprimerie, un véritable
chef-d'oeuvre; M. Monpied, qui a reproduit en filets typographiques, avec
autant de patience que de talent, l'Enlèvement de Pandore,
d'après Flaxman, l'Amour et Psyché, d'après Canova.
Avant ces typographes émérites, nous eussions du peut-être
rappeler le nom de Momoro, qui, les précédant dans la
carrière, a écrit un curieux Traité
élémentaire de l'imprimerie ou le Manuel de
l'imprimeur, avec 40 planches en taille-douce (Paris, 1793). Momoro fut
envoyé comme commissaire national à Niort; il s'intitulait
premier imprimeur de la liberté nationale, et il mourut sur
l'échafaud en mars 1794.
À côté de ces noms justement respectés, nous
pourrions en citer d'autres que nous aimons mieux passer sous silence. Pourtant
on nous permettra d'ajouter quelques traits qui achèveront de faire
connaître le type que nous nous sommes proposé d'esquisser.
Quelques ombres sont nécessaires dans un tableau pour mieux faire valoir
les parties éclairées; d'ailleurs nous visons au portrait et non
au panégyrique.
Il se glisse parfois dans les rangs de cette honorable phalange des
individualités douteuses, personnages remuants, bons à tout
faire, plus semblables à l'adjudant d'un régiment qu'à un
chef d'atelier. À peu près dénués des connaissances
indispensables à l'exercice de leur profession, ils se faufilent
grâce à leur esprit d'intrigue et s'imposent par leur jactance:
serviles et rampants en présence du patron, ils se montrent irascibles
et despotiques à l'égard de ceux qui, pour leur malheur, se
trouvent places sous leurs ordres. Nous pourrions nommer comme modèle de
l'espèce le prote d'une grande maison de Paris: il est incapable de
composer une ligne, incapable d'établir un devis, incapable de lire une
épreuve. Par contre, la manie écrivassière le travaille et
il ne laisse échapper aucune occasion de produire ses lourdes
élucubrations. Son audace va plus loin: il courtise les neuf Soeurs,
sans succès, il est vrai; car il ignore les plus simples règles
de la versification et commet bravement des vers de quatorze syllabes.
Mais, hâtons-nous de le dire, ce ne sont pas là de vrais protes;
ce sont des intrus qui font exception et servent de repoussoir. Pour eux,
d'ailleurs, la roche Tarpéienne se trouve toujours bien près du
Capitole.
Terminons cette esquisse par deux anecdotes où se montre le travers de
certains protes qui, à force de se frotter aux auteurs, de voir faire
des livres, finissent par se croire eux-mêmes des littérateurs
Il y a quelques années, vous pouviez voir à certaines heures de
la journée, toujours les mêmes, un homme fortement
charpenté, vêtu d'un long paletot, le chef couvert d'une calotte
de velours noir, faisant tourner nonchalamment dans ses gros doigts une ou deux
clefs, la boutonnière empourprée du ruban de la Légion
d'honneur, cheminant le long d'une des voies les plus fréquentées
de la capitale. Vous l'eussiez pris pour quelque soudard en retraite. Non;
c'était le prote d'une des imprimeries les plus importantes de Paris. Il
s'était acquis dans cette maison une très haute autorité,
non seulement sur le maître de l'établissement et les ouvriers,
mais encore sur les clients, des hommes de grande science pour la plupart.
Cette omnipotence semblerait inexplicable, si l'on ne savait que l'audace et la
rudesse tiennent parfois lieu de savoir et de talent. Il arriva qu'un savant
fit une addition au Traité de statique de Monge notre savant
désirant rester inconnu, ne signa pas son travail. Le prote dont nous
voulons parler qui bien entendu ne connaissait rien aux x et aux
y, si ce n'est par ouï-dire proposa au savant de signer de son nom
à lui l'opuscule algébrique. Le savant laissa faire. Aujourd'hui
notre prote ne manque jamais d'ajouter au-dessous de sa signature: auteur de
l'Addition au Traité de statique de Monge. Si cet homme ne
connaît rien en mathématiques, on dit qu'il est fort expert en
grivoiseries; on ajoute qu'il s'écarte bien souvent des plus
élémentaires préceptes de la civilité.
Autre histoire: M. A...., professeur de mathématiques faisait imprimer
une Algèbre. Il avait laissé échapper dans son
manuscrit une faute assez importante (il s'agissait d'une équation du
second degré); le correcteur en première, qui par bonheur savait
un peu d'algèbre corrigea la faute sur l'épreuve. Quelques jours
après M. A... vint à l'imprimerie, remercia chaudement le prote
(le correcteur assistait à la scène), le félicita de
posséder des connaissances en algèbre, etc. Le prote empocha sans
sourciller les compliments et se contenta de sourire quand le correcteur en
plaisantant, lui fit remarquer avec quel aplomb il s'était laissé
parer des plumes du paon.
Dès 1847, une association fraternelle se forma entre les protes des
diverses imprimeries typographiques de Paris, avec l'autorisation
ministérielle.
Elle a principalement pour objet d'entretenir des liens d'amitié et de
bonne confraternité entre les membres qui en font partie; de s'occuper
des progrès de l'art typographique et d'assurer des secours à
chacun des sociétaires en cas de maladie ou d'infirmités. Cette
société qui continue obscurément sa paisible existence se
composait à la fin de 1874, de 28 membres honoraires (avocats,
médecins, libraires imprimeurs, fondeurs en caractères etc.) et
de 53 membres actifs parmi lesquels les ex-protes étaient en
majorité (29 sur 53). Elle est donc loin de renfermer dans son sein tous
les protes des diverses imprimeries de Paris. La Société des
protes publie par cahiers des comptes rendus annuels.
Quant aux metteurs en page et aux paquetiers, ils se confondent
sous la dénomination commune de typographes. Leur rôle dans
l'atelier est suffisamment désigné par le nom qu'ils portent.
Ce n'est donc pas la hiérarchie qui détermine la physionomie du
typographe: c'est le type individuel ou le genre habituel des travaux. Mais
avant de rechercher le caractère particulier à chaque genre il
n'est pas hors de propos d'introduire le lecteur dans l'antre où le
personnage qui nous occupe passe la plus grande partie de sa vie. Citons
d'abord Balzac; nous ne saurions prendre un guide plus sûr et en
même temps plus exact. Voici en quels termes il décrit, dans son
roman intitulé Illusions perdues, l'établissement de David
Séchard, à Angoulême: " L'imprimerie située dans
l'endroit où la rue de Beaulieu débouche sur la place du
Mûrier, s'était établie dans cette maison vers la fin du
règne de Louis XIV. Aussi depuis longtemps, les lieux avaient-ils
été disposés pour l'exploitation de cette industrie. Le
rez-de-chaussée formait une immense pièce éclairée
sur la rue par un vieux vitrage et par un grand châssis sur une cour
intérieure. On pouvait d'ailleurs arriver au bureau du maître par
une allée. Mais en province, les procédés de la
typographie sont toujours l'objet d'une curiosité si vive, que les
chalands aimaient mieux entrer par une porte vitrée pratiquée
dans la devanture donnant sur la rue, quoiqu'il fallût descendre quelques
marches, le sol de l'atelier se trouvant au-dessous du niveau de la
chaussée. Les curieux ébahis ne prenaient jamais garde aux
inconvénients du passage à travers les défilés de
l'atelier. S'ils regardaient les berceaux formés par les feuilles
étendues sur des cordes attachées au plancher ils se heurtaient
le long des rangs de casses, ou se faisaient décoiffer par les barres de
fer qui maintenaient les presses. S'ils suivaient les agiles mouvements d'un
compositeur grappillant ses lettres dans les cent cinquante-deux cassetins de
sa casse, lisant sa copie relisant sa ligne dans son composteur en y glissant
une interligne, ils donnaient dans une rame de papier trempé
chargé de ses pavés, ou s'attrapaient la hanche dans l'angle d'un
banc; le tout au grand amusement des singes et des ours. Jamais
personne n'était arrivé sans accident jusqu'à deux grandes
cages situées au bout de cette caverne, qui formaient deux
misérables pavillons sur la cour, et où trônaient d'un
côté le prote et de l'autre le maître imprimeur. Au fond de
la cour et adossé au mur mitoyen s'élevait un appentis en ruine
où se trempait et se façonnait le papier. Là était
l'évier sur lequel se lavaient avant et après le tirage les
formes, ou, pour employer le langage vulgaire, les planches de
caractères; il s'en échappait une décoction d'encre
mêlée aux eaux ménagères de la maison, qui faisait
croire aux paysans venus les jours de marché que le diable se
débarbouillait dans cette maison... "
Voila ce qu'était une imprimerie de province, il y a soixante ans.
L'emploi de la vapeur a modifié cet aspect en quelques points et a
donné à cette industrie un caractère d'usine qu'elle
n'avait point autrefois. Empruntons donc au livre humoristique intitulé
Typographes et gens de lettres, écrit par un enfant de la balle,
le tableau animé d'une imprimerie contemporaine en pleine
activité: " D'un côté, ce sont les machines qui
dévorent d'immenses quantités de papier en grondant comme le
dogue auquel on veut ravir sa proie. Les margeurs poussent négligemment,
en chantant la chanson en vogue, les feuilles qui disparaissent
immaculées pour venir tomber tout imprimées entre les mains des
receveurs. Plus loin sont les imprimeurs, dernier vestige de l'ancienne
imprimerie, qui font le moulinet en racontant leurs interminables histoires.
Par ici sont les compositeurs, discourant, plaisantant, discutant, sans que
pour cela le mouvement des doigts se ralentisse. "
" En mettant le pied dans la salle de composition ou galerie, dit M.
Jules Ladimir, nous avons entendu un bourdonnement, un dissonant assemblage de
voix dans tous les tons, depuis le fausset aigu des apprentis jusqu'à la
basse-taille des doyens qui grommellent sans cesse comme de vieux bisons en
ruminant leur ouvrage. Donnons-nous la mine d'un auteur et prenons un air sans
façon; car ces messieurs n'aiment pas les étrangers qui viennent
avec un lorgnon enchâssé dans l'arcade sourcilière les
regarder travailler comme on regarde les singes ou les ours monter à
l'arbre et faire leurs exercices. Souvent ils se donnent le mot pour se livrer
alors aux contorsions les plus bizarres, de sorte que le visiteur se croit
traîtreusement amené dans une salle de maniaques ou
d'épileptiques.....Écoutons. Les intelligences frottées
incessamment l'une par l'autre dégagent un feu roulant de saillies, de
bons mots, de pointes de sarcasmes, de calembours, de coq-à-l'âne
à désespérer Odry. À l'atelier on ne respecte rien
ni les hommes de lettres, ni les hommes d'État ni les artistes ni le
talent, ni la richesse ni même la sottise. Renvoyée d'un bout de
la galerie à l'autre, l'épigramme rebondit redouble de verve et
de sel. Vires acquirit eundo. Les ridicules sont découverts avec
une sagacité merveilleuse, mis à nu et fouettés sans
miséricorde.... Parfois les compositeurs tournent contre leurs propres
confrères cette rage de l'ironie, cette monomanie homicide de la satire.
A-t-on surpris dans la galerie quelque figure frappée à un
certain coin, quelque angle facial trop aigu, un crâne sur lequel la
sottise en relief eût épouvanté Gall, une physionomie
condamnée d'avance par Lavater, un de ces tristes hères dont
l'extérieur effacé, craintif, porte l'empreinte d'une
création manquée et qui occupent chez les hommes la même
place que l'unau et l'aï parmi les animaux, malheur! Il sera comme un
pilon qui fait crever la nue et descendre la foudre. Sur lui les cataractes
sont ouvertes; elles l'engloutiront à moins que, comme cela arrive, il
ne préfère abandonner la place et l'atelier; ou bien encore qu'il
n'emploie sa force physique pour faire respecter sa faiblesse intellectuelle...
Si le compositeur n'est pas en train de travailler, il rêve...
" Le lieu où s'élaborent les grands travaux qui doivent donner au
monde la vie et la lumière est généralement situé
dans un quartier retiré dont les abords, semblables à ceux d'un
antre mystérieux, se révèlent à l'odorat par des
odeurs inconnues étranges, produites par le mélange des
émanations diverses de la colle, du papier humide, de l'encre et de la
potasse. Le public qui n'a pas encore pu s'habituer à croire que
l'imprimerie est un état manuel plonge toujours un regard défiant
et empreint d'une vive curiosité lorsqu'il passe près d'une de
ces demeures. Son étonnement augmente encore lorsqu'il en voit sortir,
pour aller se réfugier dans les cabarets voisins, des hommes
coiffés de toques, de bonnets de police, de mitres en papier. Leur
accoutrement étrange, qu'eux seuls savent porter, leur attire, sinon le
respect, du moins cet intérêt curieux et empressé que porte
le public à tout ce qui lui est inconnu.... L'aménagement d'une
imprimerie est généralement composé de la façon
suivante: la machine à vapeur au sous-sol; au rez-de- chaussée,
les presses mécaniques, -- que les phraseurs appellent les canons de
l'intelligence et les mortiers de la pensée, -- et les presses. Quand
tout cela marche, c'est un vacarme à étourdir un sourd. Au
premier étage sont placés les compositeurs qui, suivant
l'importance de la maison, peuvent occuper jusqu'aux mansardes. Les ateliers de
composition, ou boîtes, comme les appellent les compositeurs, se
divisent, sous le rapport de l'aménagement, en trois catégories
bien distinctes. La première se compose des imprimeries où l'on y
voit à travailler; la seconde, de celles où l'on y voit un peu:
la troisième, de celles où l'on n'y voit pas. Cette
dernière catégorie est la plus nombreuse. À Paris,
où, dans son langage pittoresque et coloré, l'ouvrier
dénomme d'une façon particulière les hommes et les choses,
il a donné le nom de cage à tout atelier couvert de
vitres. Là, pas de disputes pour les places; pas de réclamations
au metteur en pages, au prote ou au patron, fondées sur le droit
d'ancienneté; car le jour est le même partout. Il est vrai que ce
genre d'atelier a bien aussi ses désagréments: on y gèle
en hiver, on y grille en été: par le temps de pluie, l'eau coule
dans les casses et distribue des douches à profusion; mais le
compositeur est industrieux comme le castor et habile comme le singe, dont il
est l'imitateur par ses mouvements. En été, pour parer à
la chaleur, il tend au-dessus de sa tête des cordes sur lesquelles il
place des maculatures. En hiver, il corrompt l'homme de peine
préposé à la distribution du charbon en lui offrant le
canon de l'estime et la goutte de l'amitié, afin d'obtenir une
deuxième édition de combustible. Lorsqu'il pleut, il a le choix
ou de placer un parapluie au-dessus de sa tête, ou de recevoir l'eau, ce
qui avec le temps ne laisse pas d'être agréable; car il se voit
obligé de recourir au marchand de vin le plus voisin, afin de combattre
d'une façon homéopathique la fraîcheur extérieure du
corps. Dans les imprimeries qui appartiennent à la seconde classe, les
désagréments sont moins nombreux; mais les ouvriers placés
auprès des fenêtres voient seuls à travailler; pour les
autres, ils ne voient rien, si ce n'est qu'ils ne voient pas. Inutile de parler
de la troisième catégorie d'ateliers. Tous les
désagréments s'y trouvent réunis. Ajoutons un
détail: dans les ateliers de composition, il est de règle de
nettoyer le moins possible; le parquet est, il est vrai, balayé deux
fois par semaine, mais les murs ne sont jamais reblanchis, les carreaux de
vitre sont lavés au plus une fois l'an; ce qui donne à la salle
un aspect sombre et mystérieux; elle a l'air enfumé d'un tableau
de Rembrandt[2]. "
Voici à ce sujet une piquante anecdote que nous fournit l'ouvrage
cité plus haut: " Il arriva un jour qu'un ancien ministre apporta
lui-même ses épreuves à l'imprimerie. C'était un
dimanche; l'atelier avait un aspect de propreté et de fête; on
eût dit qu'il attendait cette visite. Après s'être entretenu
quelque temps avec les compositeurs, il se mit à examiner l'atelier en
homme qui cherche à se rappeler: " La dernière fois que je suis
venu ici, dit-il , c'était en 1836, mon metteur en pages était
là; " et il indiquait l'endroit. " Il avait dans les ordres un
frère qui est devenu évêque; il y a tantôt vingt-cinq
ans de cela... il s'est passé bien des choses depuis; les hommes ont
vieilli; seul votre atelier a conservé la même physionomie... il
est toujours aussi sale... "
Le moment de la banque, c'est-à-dire de la paye, offre dans une
imprimerie un coup d'oeil curieux. Les bruits connus de l'atelier ont fait
silence ; les ouvriers, revêtus de leurs paletots, forment, en attendant,
des groupes recueillis; le guichet s'ouvre: le prote appelle un à un les
metteurs en pages, qui à leur tour distribuent à chacun de leurs
paquetiers ce qui lui revient; après les metteurs c'est le tour des
hommes de conscience; puis viennent les conducteurs qui reçoivent pour
leur équipe; les pressiers, le trempeur, le chauffeur et le brocheur,
l'homme de peine et les apprentis. Enfin c'est le tour des correcteurs. Dans
quelques rares maisons, le prote apporte lui-même à ces derniers
le salaire de la quinzaine; dans la plupart, ils passent, comme nous venons de
le dire, les derniers, preuve de la haute considération qu'on leur
accorde. De toutes parts retentit à cet instant dans l'atelier le bruit
métallique de l'or et de l'argent que l'on remue, bruit
inaccoutumé; les apprentis , un cornet de papier à la main, vont
de rang en rang recueillir les collectes et les souscriptions ; là, un
organisateur de fins déjeuners, qui a pris toute la dépense pour
lui, règle ses comptes avec ses convives; dans un coin, un fanatique de
saint Lundi calcule comment il pourra satisfaire ses loups... ou les
fuir. Enfin, à huit heures, tout le monde est parti et les
préoccupations sont chassées pour quinze jours.
Maintenant que nous connaissons la caverne, examinons plus en détail
ceux qui l'habitent et lui donnent la vie et le mouvement.
Sous le rapport des travaux divers qu'ils sont appelés à faire
les typographes se divisent en trois classes: les labeuriers,
c'est-à-dire ceux qui composent le plus habituellement les ouvrages de
longue haleine; les journalistes, spécialement employés
à la composition des nombreux journaux quotidiens, hebdomadaires ou
mensuels, et les tableautiers, qui exécutent les tableaux de
chemins de fer, de douane, de statistique, etc. En outre on compte quelques
ouvriers spéciaux pour la composition des ouvrages de
mathématiques, du plain-chant et de la musique. Mais , ces
catégories ne sont pas tellement fermées qu'un
labeurier ne devienne journaliste ou tableautier, et
réciproquement; aucun typographe n'est absolument parqué dans sa
spécialité. Dans la même imprimerie, on distingue outre le
prote, comme nous l'avons déjà dit, les metteurs en pages, les
paquetiers et les corrigeurs. Ces derniers sont à la
journée, ou plutôt à l'heure et font partie de la
conscience. Les gains sont, on le conçoit, inégaux suivant
les aptitudes et l'assiduité au travail. Les journalistes sont
les mieux rétribués.
Au point de vue des types et des caractères individuels, il est
impossible d'établir des divisions précises. Le typographe est un
être " ondoyant et divers, " essentiellement fantaisiste et
prime-sautier. Pourtant nous distinguerons les genres suivants. C'est d'abord
le gourgousseur, qui ne sait pas renfermer en lui-même ses
impressions et qui les exhale à tout propos en plaintes, en
récriminations, en doléances de toute sorte. De mémoire de
compositeur, personne n'a vu le gourgousseur satisfait. Son
caractère morose et grondeur fait le vide autour de lui mieux que ne le
ferait une machine pneumatique. Le gourgousseur est presque toujours en
même temps chevrotin, c'est-à-dire facilement irascible. Le
fricoteur, lui est une véritable plaie pour l'atelier. On
l'appelle encore pilleur de boîtes. Le premier arrivé
à l'atelier, il passe rapidement en revue les casses des camarades qui
travaillent sur le même caractère que le sien et
prélève un impôt sur chacun. Dans sa conscience, il ne
considère pas cela comme un vol et pourtant c'en est un
véritable, puisqu'il s'empare du résultat du travail de ses
confrères. Comme tous les coquins, le fricoteur est doué
d'une certaine audace; il a le verbe haut, cherche à intimider ses
victimes et joint souvent à ses défauts celui d'être
gourgousseur. Le typographe casanier est moins rare qu'on ne pourrait le
supposer. Il se reconnaît à des signes particuliers: " Dès
qu'il est depuis quelque temps dans un atelier et qu'il en connaît les us
et coutumes, il en fait dans son imagination la maison de retraite pour ses
vieux ans et se considère lui-même comme partie intégrante
du matériel; sa place est un modèle de propreté; le soin
méticuleux qu'il met à toujours garder la même position
devant sa casse fait que l'endroit où posent ses pieds en a pris
l'empreinte; chaque coin de l'atelier lui rappelle une histoire, une anecdote,
un souvenir. Son rang est aménagé avec un soin infini. Il a une
collection de choses sans nom et sans utilité pour d'autres que pour lui
et qui toutes lui sont chères. Il s'est créé des amis; il
tient à ses relations; le patron n'a pas de plus chaud défenseur
que lui. Si par malheur il est forcé de sortir de cette maison qu'il
regardait comme la sienne, de quitter cette place où il a passé
tant de longues heures, d'abandonner à des inconnus ces casses qu'il
soignait avec tant d'amour, il ramasse tristement son saint-jean et s'en
va en essayant de faire croire à une indifférence qui est bien
loin de son coeur[3]. "
Un caractère commun à la grande majorité des typographes,
c'est l'amour du progrès et des idées nouvelles. En tout et
partout le compositeur est pour le progrès. " Il a été,
dit M. Jules Ladimir, de toutes les religions nouvelles qui ont essayé
de reconquérir notre foi lasse de tout même de sa pauvre soeur,
l'espérance. On l'a vu successivement saint-simonien,
fouriériste, châteliste, etc. " On doit se souvenir que ce sont
des typographes qui ont commencé la révolution de 1830. Leurs
successeurs appartiennent presque tous à l'opinion républicaine,
et la nuance des journaux auxquels ils sont employés ne déteint
que très peu sur eux.
L'ouvrier compositeur se croit, en général, apte à tout;
mais, parmi les carrières qui lui offrent le plus d'attrait, il faut
ranger en première ligne la carrière théâtrale.
C'est pour beaucoup de typographes une idée fixe, un hanneton,
comme on dit dans les ateliers. La typographie parisienne a une troupe
théâtrale exclusivement composée de compositeurs et de
leurs femmes ou de leurs soeurs; cette troupe joue la comédie comme une
troupe de province. Nous avons assisté à quelques-unes de ces
représentations, et nous nous sommes retiré très
satisfait: la plupart des acteurs possédaient bien les planches et
s'acquittaient de leur rôle avec tact et intelligence. Peut-être
laissent-ils pourtant trop à faire au souffleur. Cette
société, organisée dans un but purement philanthropique,
verse environ deux mille francs par an aux confrères besogneux.
Il y a aussi des poètes parmi les fils de Gutenberg; sans parler
d'Hégésippe Moreau et de Béranger, qui furent
compositeurs, on compte dans la famille typographique de nombreux amants de la
Muse, qui, pour être moins célèbres, ne sont pourtant pas
sans mérite. Ceux-là, ouvriers laborieux, n'abandonnent point la
casse pour les applaudissements de la foule, et ils ne voient dans la
poésie qu'une douce diversion aux travaux du jour. Citons quelques noms:
Théodore Alfonsi, auteur de Chants et chansons; Th. Delaville,
Adolphe Péqueret, Edouard Maraux; V.-E. Gautier, qui fut imprimeur
à Nice; Ch. Bunel, E. Petit, Eugène Clostre, Marion, E. Pelsez,
J.-F. Arnould, Chassat, E. Duras, J.-J. Chataignon, Le Godec, Victor
Heuré, Barillot, Boué (de Villiers); Hippolyte Matabon, prote
à l'imprimerie Cayer et Cie, de Marseille, auteur d'un volume de
poésies Après la journée, couronné en
novembre 1875 par l'Académie française, etc. Contentons-nous de
nommer parmi les romanciers, le curieux Restif de La Bretonne, auquel M. Ch.
Monselet a consacré une étude étendue; parmi les
journalistes, Léo Lespès, si connu sous le pseudonyme de
Timothée Trimm; Charles Sauvestre, etc. Tout le monde sait que Benjamin
Franklin a été compositeur. L'historien Michelet le fut dans sa
jeunesse, et mille autres qu'il serait trop long d'énumérer.
Il est un trait de caractère commun à tous les typographes, que
nous nous reprocherions de passer sous silence: c'est le bon coeur, la
facilité à plaindre l'infortune, la promptitude avec laquelle
chacun d'eux vient au secours des misères qui frappent autour de lui. "
Le compositeur, dit M. Ladimir dans l'article que nous avons déjà
cité, a le coeur sur la main. Arrive-t-il à un confrère de
faire une longue maladie; lui a-t-on, pendant son absence, emprunté son
mobilier; est-ce un étranger qui débarque sans ressource, ou qui,
faute d'ouvrage, veut retourner chez lui, ou bien un enfant pâle qui
s'étiole et meurt de nostalgie; est-ce une veuve que la mort de son mari
vient de priver à l'improviste de tout moyen d'existence, aussitôt
une circulaire court les imprimeries, une liste de souscription se forme,
s'allonge, se remplit, se gonfle et se résout en une somme assez ronde
qui tombe inopinément dans la main du pauvre diable. Cela se fait avec
délicatesse; souvent même la charité porte les typographes
à venir au secours d'individus étrangers à leur
profession. "
Voilà le portrait du typographe actuel; nous l'avons tracé avec
tout le soin et toute la vérité possible. Pourtant il nous reste
encore un trait à ajouter qui n'est point en faveur de notre
modèle: nous voulons parler de sa propension à fêter plus
que de raison la dive bouteille. C'est surtout dans la nombreuse armée
des rouleurs, [4] c'est-à-dire des
ouvriers qui ne séjournent pas longtemps dans la même imprimerie
que se rencontre le plus de " courtisans de la dive bouteille " comme on disait
jadis; c'est là que fourmillent les poivreaux, ces incorrigibles
ivrognes, souvent habiles ouvriers, mais qui ne savent jamais résister
à la tentation de prendre une tasse, d'écraser
ungrain ou d'étouffer un perroquet_.
Ceux-là saisissent aux cheveux la moindre occasion de prendre la
barbe, et, sous le fallacieux prétexte de rendre les derniers
devoirs à un ami, ils ne manquent jamais de manger le traditionnel
lapin et de s'enivrer à l'issue de la cérémonie
funèbre. Nous n'avons pas besoin de dire que les poivreaux sont
aujourd'hui en minorité. Ils sont, on le conçoit aisément
, le fléau des marchands de vin, et il n'est pas de ruses auxquelles ils
n'aient recours pour échapper aux loups, c'est-à-dire
à leurs créanciers, le jour où ils touchent leur maigre
banque. Il nous revient en mémoire un moyen, assez piquant,
employé par l'un d'eux pour sortir de l'imprimerie sans être
harcelé par les loups qui l'attendaient à la porte. Le
quidam en question imagina de se blottir dans une de ces voitures à bras
couvertes que traînent les hommes de peine et qui servent à
transporter chez le brocheur les feuilles imprimées. L'homme de peine de
la maison se prêta de bonne grâce à la ruse et se mit en
devoir de voiturer son fardeau au dehors; mais le personnage était gros
et lourd: un de ses créanciers s'approcha complaisamment, poussa
à la roue et contribua ainsi à la fuite de son débiteur;
en sorte que le loup et ses confrères restèrent à
se morfondre à la porte pendant plusieurs heures tandis que le
louvetier désaltérait son complice et son sauveur chez un
marchand de vin du voisinage.
L'anecdote n'est point à dédaigner surtout dans la matière
qui nous occupe, et bien souvent elle caractérise une
individualité, mieux que ne le pourraient faire de prolixes
descriptions. En voici quelques-unes parfaitement authentiques, " congruentes "
à notre sujet.
La semaine a été rude; les auteurs et les éditeurs ont mis
l'atelier sur les dents, aussi bien les metteurs que la conscience. Enfin c'est
samedi, c'est jour de banque. Il est huit heures et demie: la banque est faite;
la conscience a reçu sa quinzaine; les metteurs ont soldé leurs
paquetiers. " Allons prendre une tasse, dit un metteur à un homme
de conscience. -- Allons! " répond l'autre. Sans prendre le temps de
quitter la blouse de toile blanche percée à l'endroit où
l'ouvrier s'appuie sur le marbre, çà et là maculée
de larges taches d'encre d'imprimerie, serrée à la taille par une
ficelle effilochée qui a déjà servi à lier les
paquets, nos deux hommes s'en vont au Petit-Dunkerque ou ailleurs. Ils
boivent une tasse; ils causent politique; ils s'échauffent; ils boivent
un litre, ils en absorbent un autre, et quand ils songent à aller
reprendre leurs paletots, la boîte est fermée. " Eh bien,
allons à la Halle! -- Partons. " Les voilà tous deux, les
espadrilles aux pieds, dans le costume que nous venons de décrire,
attablés chez Baratte ou dans quelque autre cabaret des Halles. Les
heures coulent vite, le vin aussi. Le moins ivre songe enfin à rentrer.
L'autre veut aller voir les amis (le typographe ne les oublie jamais). "
Allons voir les amis, puis, c'est ton idée; mais lesquels? -- X... est
à Caen. Allons à Caen. " Sans discuter davantage, nos deux
typos se rendent à la gare Saint-Lazare, prennent leurs billets
pour Caen, et y arrivent le matin, penauds et dégrisés. Les
amis leur prêtent les vêtements indispensables. On fait
fête, et l'on se... regrise. La banque bue et mangée, on
repart..., après avoir repris la blouse et les espadrilles; on a
conservé juste de quoi revenir à Paris. Nos deux voyageurs
s'endorment; mais, fatalité ! l'un d'eux se réveille à un
arrêt, descend, veut boire une tasse à la gare et laisse
partir le train...., et le train emporte son camarade, lequel avait en poche
les deux billets. Le malheureux est resté là deux jours, sans le
sou, conduit chez M. le maire du village voisin, pataugeant dans la boue,
presque pris pour un malfaiteur. Enfin, son billet lui ayant été
renvoyé, il put revenir. On en fit, comme bien vous pensez, des gorges
chaudes dans l'atelier. Mais le pauvre Joseph, un des meilleurs typographes que
nous connaissions, ne s'est pas corrigé pour cela, et Henri, son
complice, entré depuis dans les journaux, rit encore de cette escapade
quand on la lui rappelle.
Autre exemple d'originalité.
Un vieux typographe eut un jour une fantaisie singulière. Comme les
héros de l'aventure divertissante que nous venons de raconter, il se
trouvait aux Halles, un dimanche matin. Quand fut venu le moment de rentrer
chez lui, il s'aperçut que ses jambes flageolaient. Trouver un
véhicule fut sa pensée dominante; mais aller à sa
recherche lui paraissait une fatigue au-dessus de ses forces. Alors il appelle
un porteur qui passait avec sa large hotte, fait prix, se hisse dans la hotte,
et porteur et porté se mettent en route: ils parcourent ainsi toute la
rue de Rivoli et la rue Saint-Antoine jusqu'à la Bastille. Le
typo se tenait tantôt accroupi dans la hotte, tantôt debout,
haranguant les passants stupéfaits de ce nouveau mode de transport.
L'histoire ne dit pas si le porteur déposa son fardeau au bas de
l'escalier ou s'il grimpa jusqu'au domicile de notre facétieux
poivreau.
C'est le même qui se fit un jour voiturer à bride abattue en
corbillard, à travers les rues de Paris, par un cocher aviné des
pompes funèbres, pendant que le macchabée attendait
patiemment à la porte le moment d'accomplir son dernier voyage.
Voici encore une anecdote non moins véridique que les
précédentes. Les ouvriers sont dans la semaine du batiau
et travaillent activement. L'apprenti arrive du bureau en criant: " Monsieur
Monnier, une dame vous demande. " Un vieux typo, âgé de
soixante à soixante-cinq ans, lève la tête, pose son
composteur et se dirige à pas lents vers l'escalier. Il rentre quelques
instants après tout ému et s'écrie: " Ma femme
accouche! -- Comment, père Monnier, votre femme accouche? -- Oui; on
m'envoie chercher. La sage-femme est à la maison. " Et le brave homme se
hâte d'endosser son paletot et part en courant." C'est bien
étonnant dit quelqu'un après son départ; je connais Mme
Monnier: elle a au moins soixante ans. C'est un montage. " Le lendemain,
le père Monnier revint tout penaud et se remit à sa casse en
silence; il se crut victime d'une plaisanterie. Il n'en était rien
pourtant: un de ses compagnons, un jeune homme connu à l'atelier sous le
prénom d'Auguste, était absent. On se souvint alors qu'Auguste se
nommait aussi Monnier. C'était la femme de ce dernier qui, la veille,
accouchait.
Nous avons gardé pour le bouquet la singulière aventure que
voici: deux compagnons de rang ne cessaient d'échanger d'amères
réflexions sur l'ennui que leur causait le travail quotidien, qu'ils
trouvaient d'une monotonie insipide. " Pourquoi, se disaient-ils, nous fatiguer
durant dix longues heures à disposer dans un ordre
déterminé de petits morceaux d'un métal insalubre? Les
quelques misérables pièces d'argent que nous recevons en
échange de tant de peines sont vite converties en grossiers aliments et
en boissons frelatées. Décidément l'état de nature
était préférable! Du temps où notre
grand-père Adam se promenait peu vêtu dans le paradis terrestre,
quelques fruits lui suffisaient; il se nourrissait d'herbes savoureuses et de
racines succulentes; une eau pure et limpide étanchait sa soif. Il
coulait des jours heureux et tranquilles, sans se préoccuper du terme
à payer, des vêtements à remplacer, du mastroc
à satisfaire; en un mot, aucun des vulgaires tracas de notre existence
prétendue civilisée ne troublait sa quiétude. Revenons
donc à l'innocence adamique et à la vie primitive. " Cela dit,
nos deux philosophes quittent l'atelier et s'en vont... dans le bois de
Clamart, où ils comptent fonder... un nouvel Eden. Pendant deux jours
ils s'y nourrirent de baies sauvages et de l'herbe des champs et dormirent
à l'abri des taillis. Au bout de ce temps, l'un d'eux faiblit et revint
dans la grande Babylone; l'autre persista plus longtemps; il dut céder
pourtant: malade et presque mort de faim, il s'avoua vaincu et reprit à
regret ses occupations d'autrefois, désolé de n'avoir pu
s'accoutumer au régime végétal. Il est connu actuellement
dans les ateliers sous le surnom mérité de l'Herbivore.
Est-ce sortir de notre sujet que de dire un mot du compositeur
américain? Voici une page pleine de verve que M. R. François,
délégué à l'Exposition de Philadelphie, consacre au
typo du Herald dans son intéressant Rapport:
" Mis en gentleman, un petit panier au bras renfermant son repas, il entre
calme et digne dans le composing room, quoiqu'il vienne de franchir la
centaine de marches qui séparait l'atelier du sol boueux de la rue. Son
premier soin est de déposer son repas dans la glacière; puis il
quitte ses vêtements, y compris la chemise, les accroche au porte-manteau
et endosse le tablier que portaient nos pères sur son gilet de
flanelle, qui est généralement en coton; d'un pas tranquille,
il va à " sa boîte ", où un " homme de bois " lui a mis de
côté sa part de distribution. Il tire de sa poche son tabac
à chiquer, le met dans la " mentonnière, " s'assure d'un coup
d'oeil que le vase bowlest à la portée de son jet
salivaire, grimpe sur son tabouret, et le voilà parti à
distribuer, sans que rien ne l'arrête, jusqu'à l'heure de
commencer. Une simple visite au bar, situé dans le
basement voisin, n'est pas non plus chose rare, histoire de prendre un
drink avec le compagnon.
" Comme la façon du travail ne demande aucun échange de paroles,
le compositeur américain peut quitter l'atelier, une fois le journal
fini, sans avoir dit un mot. À très peu d'exceptions près,
cela se passe ainsi. Les " sortes " n'existent qu'en très petit nombre;
par compensation, elles manquent généralement d'esprit. La "
roulance " se pratique sur une petite échelle en signe de
dénégation. Un grand plaisir est de faire répéter
le plus de fois possible une question posée à haute et
intelligible voix, en demandant: Qu'avez-vous dit? -- What did you say?
-- À chaque répétition, la galerie se tord
littéralement. Rarement on entend dire: He has got his oxen! il a
son boeuf! -- Nous ignorons de quel côté vient l'emprunt.
" Dans les maisons importantes, les relations entre patrons et ouvriers sont
nulles; l'intermédiaire est le " prote à tablier.
" Le compositeur américain est, en général, plus vif
à lever la lettre que son confrère français; cela tient,
croyons-nous, à son tempérament plus froid, moins susceptible
d'énervement; on bat moins le briquet qu'en France.
" Le niveau intellectuel du " typo " américain est, en moyenne, un peu
meilleur qu'à Paris; mais il a un terrible ennemi: le whiskey, et les
notions de l'économie et de la prévoyance lui sont presque
inconnues. "
Nous ne pouvons, dans des pages consacrées aux typographes, omettre de
parler de la Société typographique, qui renferme dans son sein le
plus grand nombre des ouvriers compositeurs de Paris. Cette
Société n'est pas simplement une Société de secours
mutuels; elle s'est aussi donné pour mission de maintenir le prix de la
main-d'oeuvre à un taux assez élevé pour être
rémunérateur. Après avoir rencontré
d'énormes difficultés pour accomplir les diverses tâches
qu'elle s'était imposées, la Société typographique
avait fini par triompher complètement en 1868. Les premiers Tarifs
avaient été discutés et consentis par une commission de
patrons et d'ouvriers, et ils furent en vigueur de 1843 à 1862. À
cette époque le prix de toutes choses ayant augmenté dans une
proportion très considérable, la profession de compositeur ne
suffisait plus pour faire vivre son homme. La Société
typographique essaya de faire adopter par les maîtres imprimeurs un Tarif
plus rémunérateur. Ceux-ci, s'abritant derrière la loi sur
les coalitions, refusèrent pour la plupart ou traînèrent
les choses en longueur. Voyant que les pourparlers n'aboutissaient pas, la
Société ordonna des mises-bas, c'est-à-dire la
cessation du travail dans les maisons qui n'accepteraient pas le nouveau Tarif.
Un grand nombre adhérèrent; d'autres résistèrent et
furent immédiatement abandonnées. Le chef de l'une d'elles,
député au Corps législatif, vit ses ateliers
désertés en un jour; des arrestations et des poursuites eurent
lieu; les grévistes, malgré la défense de l'illustre
Berryer [5], furent condamnés à la
prison et à l'amende; mais ils se virent bientôt graciés.
Une nouvelle loi devenait indispensable: celle qui régit encore
aujourd'hui la matière fut votée par le Corps législatif,
et l'accord se fit alors presque partout entre les patrons et les ouvriers.
Un petit nombre de maisons à l'index, c'est-à-dire dans
lesquelles aucun sociétaire ne pouvait accepter de travail sous peine de
déchéance, employèrent les typographes qui
n'étaient pas entrés dans l'association ou qui, pour un motif ou
pour un autre, en étaient sortis; d'autres, en petit nombre aussi,
occupèrent des femmes.
Outre le Tarif de 1862, entièrement refondu en 1868, qui régla
jusqu'en 1878 le prix des divers travaux et spécifia ceux qui pouvaient
être faits en conscience, c'est-à-dire par les ouvriers à
la journée, et ceux qui devaient être faits aux pièces, la
Société typographique avait établi quelques autres
dispositions, dont voici les plus importantes:
1° le maître
imprimeur n'emploiera pas de femmes comme compositrices;
2° les mises
en pages seront faites aux pièces;
3° le nombre des apprentis
sera au maximum de 1 pour 10 compositeurs. Le Tarif favorisait les commandites,
c'est-à-dire l'entreprise d'un labeur ou d'un journal par un groupe
d'ouvriers qui choisissent eux-mêmes leur metteur en pages. Presque tous
les grands journaux quotidiens de Paris sont composés dans ces
conditions.
En 1878, une nouvelle revision du Tarif a été tentée.
Après de laborieuses discussions et de longs pourparlers entre la
Commission patronale et la Commission ouvrière, les
délibérations ont été rompues et l'accord n'a pu se
faire. Le 21 mars, le comité de la Chambre syndicale typographique a
ordonné une mise-bas qui a causé une grande perturbation
dans la typographie parisienne.
Soutenus par les éditeurs les plus considérables de la capitale,
quinze maîtres imprimeurs des plus importants ont refusé
d'accepter le Tarif élaboré par la Commission ouvrière et
voté par les sociétaires. Les maîtres imprimeurs non
adhérents ont mis en vigueur un Tarif dû à la Commission
patronale; ce Tarif améliore les prix consentis à l'amiable en
1868.
L'écart entre les deux Tarifs était si minime qu'il semblait
qu'une entente bien désirable eût pu se faire facilement. Il n'en
a rien été: la lutte a duré deux grands mois, à
l'extrême détriment des deux parties. Finalement, après
cette longue résistance, les ouvriers ont dû céder et sont
rentrés pour la plupart dans leurs ateliers en acceptant
individuellement le Tarif patronal. C'est pour la Société
typographique parisienne un échec considérable.
Il existe dans la plupart des grandes villes de province, à Lyon,
à Bordeaux, à Marseille, des sociétés
typographiques organisées sur le modèle de celle de Paris.
Parlerons-nous maintenant du correcteur ? Nous avons
hésité à le faire pour deux motifs: le premier, c'est que
nous appartenons à la corporation et qu'il est bien difficile de " se
connaître soi-même"; le second, c'est que le correcteur n'est
réellement typographe, dans le sens exact du mot, que s'il est en
même temps compositeur. Pourtant, le jour même où le
compositeur est né, le correcteur a paru; sitôt qu'une ligne a
été composée, elle a du être lue. Le
correcteur est donc le frère jumeau du compositeur: il doit même,
pour être digne de ce nom, joindre à des connaissances
grammaticales, lexicologiques, littéraires, historiques, etc., la
connaissance au moins théorique de l'art typographique. C'est cette
étroite parenté qui nous a décidé à lui
donner place dans notre cadre. D'un autre côté, l'abstention de
notre part eût pu sembler étrange.
Empruntons d'abord à M. Alexandre Bernier, ancien président de la
Société des correcteurs, quelques passages de son article
très compétent, inséré dans le tome V du Grand
Dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse:
" Toute personne, dit M. Bernier, qui est chargée habituellement, soit
dans une imprimerie, soit dans une librairie, soit dans un bureau quelconque de
publications, de corriger les fautes typographiques, grammaticales et
littéraires, qui se trouvent sur les épreuves de toute
espèce d'impressions, est un correcteur.
" Les personnes étrangères à l'imprimerie confondent
souvent le correcteur avec le prote, quoique leurs fonctions soient
complètement distinctes. Le prote est le représentant
immédiat du maître imprimeur: il dirige et administre
l'établissement. Le correcteur n'a pas à s'immiscer dans
l'administration industrielle: il est le représentant de la
littérature et de la science dans l'imprimerie. Son département
est du domaine de l'intelligence pure. Il n'est placé sous la direction
du prote que comme faisant partie du personnel de l'usine typographique.
" Il y avait autrefois très peu de correcteurs spéciaux,
c'est-à-dire se livrant exclusivement à la correction des
épreuves. Les protes, à défaut du maître imprimeur,
se chargeaient de ce soin; il en est même encore ainsi dans beaucoup de
petites imprimeries, surtout en province, où l'on voit le maître
imprimeur cumuler les fonctions de patron, de prote, de correcteur, voire
même de compositeur et d'imprimeur.
" Des besoins nouveaux et impérieux forcèrent plus tard le prote
à se décharger d'une partie de sa responsabilité: il
abandonna tout ce qui concerne la correction des épreuves, devenue
incompatible avec sa présence presque constante à l'atelier et la
surveillance qu'il y doit exercer. Ce jour- là naquit le correcteur tel
qu'il existe aujourd'hui. "
Quelles sont les fonctions du correcteur? Nous ne saurions en donner une
meilleure définition que celle que nous extrayons d'une Lettre
adressée à l'Académie française par la
Société des correcteurs des imprimeries de Paris (juillet
1868): " Les fonctions du correcteur sont très complexes. Reproduire
fidèlement le manuscrit de l'écrivain, souvent
défiguré dans le premier travail de la composition typographique;
ramener à l'orthographe de l'Académie la manière
d'écrire particulière à chaque auteur; donner de la
clarté au discours par l'emploi d'une ponctuation sobre et logique;
rectifier des faits erronés, des dates inexactes, des citations
fautives; veiller à l'observation scrupuleuse des règles de
l'art; se livrer pendant de longues heures à la double opération
de la lecture par l'esprit et de la lecture par le regard, sur les sujets les
plus divers, et toujours sur un texte nouveau où chaque mot peut cacher
un piège, parce que l'auteur, emporté par sa pensée, a lu,
non pas ce qui est imprimé, mais ce qui aurait dû l'être:
telles sont les principales attributions d'une profession que les
écrivains de tous les temps ont regardée comme la plus importante
de l'art typographique. "
Les correcteurs se divisent en trois catégories: le correcteur en
première, le correcteur en seconde ou en bon à
tirer, et le reviseur de tierces. Le premier accomplit sa
tâche en se conformant strictement au manuscrit de l'auteur, dont il
élague toutefois les fautes d'orthographe et de ponctuation qui auraient
été reproduites par le compositeur. La correction de
l'épreuve en première est faite par le compositeur et à
ses frais: de là la nécessité de ne rien changer à
la copie; de là aussi une cause incessante de discussions entre les
correcteurs en première et les typographes, ceux-ci se persuadant
facilement que les fautes marquées sont des changements. Il est juste
d'ajouter que le correcteur, en présence d'une phrase mal construite, ne
résiste pas toujours à la tentation de la modifier.
Le correcteur en bon, lui, est plus libre: il ne lit qu'après
l'auteur, et les fautes qu'il relève sont corrigées par la
conscience, aux frais de l'éditeur.
Le reviseur de tierces est chargé de vérifier si les
corrections indiquées sur le bon ont été
exécutées; c'est lui aussi qui voit les revisions,
c'est-à-dire les premières feuilles tirées par l'imprimeur
ou le conducteur. Sa responsabilité, moins lourde que celle du
correcteur en bon , est cependant encore très grande.
Le genre de travail divise les correcteurs comme les compositeurs en
labeuriers et en journalistes.
Quant à la situation du correcteur, les lignes suivantes, que nous
écrivions au mois de décembre 1866, dans le journal
l'Imprimerie, n'ont pas cessé d'être vraies: " Le
correcteur, par son caractère et la nature de ses fonctions, est
isolé, timide, sans rapports avec ses confrères, supporté
plutôt qu'admis dans l'atelier typographique. Le patron voit souvent en
lui une non-valeur, puisque son salaire est prélevé sur les
étoffes; le prote, la plupart du temps, diminue le plus possible
l'importance de ses fonctions. Aussi, et nous avons le regret de le dire, le
réduit le plus obscur et le plus malsain de l'atelier est d'ordinaire
l'asile où on le confine. C'est là que, pendant de longues
heures, il se livre silencieusement à la recherche des coquilles
, heureux quand il n'est pas troublé dans sa tâche ingrate par les
exigences incroyables de ceux qui exécutent ou dirigent le travail. Et
pourtant, qu'est-ce que le correcteur? D'ordinaire un déclassé,
un transfuge de l'Université ou du séminaire, une épave de
la littérature ou du journalisme, et que les circonstances ont fait
moitié homme de lettres, moitié ouvrier. Aujourd'hui, sans doute,
les choses ne sont plus ce qu'elles étaient il y a dix ans. Un
clément jeune, plus énergique, est venu s'adjoindre aux hommes
timides."
Le correcteur a des origines diverses; mais on peut affirmer, sans crainte
d'être démenti, qu'il n'y a peut-être pas un seul correcteur
dans les cent imprimeries de Paris qui ait fait de cet emploi le but
prémédité de ses études ou de ses travaux
antérieurs. C'est par accident qu'on devient correcteur.
Souvent, c'est un compositeur intelligent qu'une cause quelconque
éloigne de sa casse et qui se consacre à la lecture des
épreuves. Ce correcteur est d'ordinaire plus typographe que
lettré: les études indispensables lui font défaut; il n'a
pas fait ses humanités, comme disaient nos pères. C'est
à la correction des premières et à la revision des tierces
qu'il excelle. Nous avons connu un vieux reviseur de tierces tellement habile
que la faute semblait lui tirer l'oeil; il lui arrivait assez
fréquemment de relever sans lire une coquille
échappée à l'oeil du correcteur en bon.
Ou bien c'est un jeune homme sans fortune, élevé au
collège ou au séminaire. Ses études achevées, il
s'est trouvé en face d'un problème terrible: vivre. Il a
été d'abord maître d'étude ou régent dans un
collège de l'Université; quelquefois, s'il sort du
séminaire, il s'est engagé imprudemment dans les ordres et a plus
tard quitté la soutane. Ces deux déclassés se sont
longtemps débattus avant de trouver un asile. La typographie leur a
ouvert ses bras accueillants. Ils s'y sont jetés, et, pour la plupart,
ils y restent, s'efforçant d'acquérir ce qui leur manque au point
de vue du métier et apportant l'appoint de leurs études
antérieures et de leurs connaissances qui s'accroissent chaque jour.
Il y a encore le correcteur que l'on peut appeler amateur. C'est un
étudiant peu fortuné ou un homme de lettres sans éditeur
qui cherche passagèrement quelques ressources dans la lecture des
épreuves. Il serait étonnant qu'il fût habile. Le
correcteur femme existe aussi; mais cette espèce, du reste très
rare, n'apparaît jamais dans l'atelier typographique; on ne l'entrevoit
qu'au bureau du patron ou du prote. Nous n'en parlerons pas... par galanterie.
Au point de vue du caractère, le correcteur n'est pas exempt de certains
défauts, qu'on relève d'ailleurs avec assez d'amertume; mais ces
défauts on doit les attribuer plutôt à sa situation
qu'à la nature. Il ne faut pas oublier qu'il est presque toujours un
déclassé: aussi semble-t-il juste d'excuser plus qu'on ne le fait
les correcteurs auxquels on serait tenté, de reprocher leur
caractère maussade quelquefois peu bienveillant, plutôt
porté à la tristesse et à la misanthropie qu'à la
gaieté. Encore une fois, il faut se souvenir qu'avant d'en venir
là ils ont souffert de pénibles froissements
éprouvé de nombreuses déceptions et lutté contre le
mauvais vouloir de certains typographes dont ils sont, comme on dit la
bête noire. On a même été jusqu'à
prétendre que le compositeur et le correcteur sont ennemis-nés.
Cela a-t-il jamais été vrai? Il semble, en tout cas qu'il n'en
est plus ainsi aujourd'hui. Ce sont tout simplement deux compagnons
attelés à un rude et incessant labeur.
Les occupations du correcteur et la tournure habituelle de son esprit le
rendent tout à fait impropre aux opérations les plus simples de
la vie usuelle, et le nombre est grand de ceux qui ont échoué
dans les tentatives qu'ils ont faites pour se créer dans un autre milieu
une situation indépendante. Nous avons connu un des correcteurs les plus
distingués de Paris auteur d'un petit ouvrage professionnel très
répandu dans les imprimeries, qui, cédant aux désirs de sa
femme, quitta son emploi pour aller habiter en province. Au bout d'un ou de
deux ans, il s'aperçut qu'il avait commis une imprudence et chercha
à se rapprocher de la grande ville. Un beau matin, il vint s'installer
à Saint-Germain, lui, sa femme et ses filles, comptant sur une promesse
qui lui avait été faite antérieurement par un imprimeur de
cette ville de lui fournir du travail. Huit jours après son
arrivée, il se rend à l'imprimerie, où il apprend que le
maître imprimeur est mort depuis plus de six mois. La promesse sur
laquelle il comptait lui avait été faite... sept ans auparavant,
et il avait négligé de prendre de nouvelles informations. Il
revint à Paris suivi de sa femme et de ses grandes demoiselles loua,
sans y prendre garde, un appartement dans une rue mal famée; en sorte
que ces pauvres dames ne purent jamais sortir le soir. Il fut tout heureux
alors de se voir accueilli par son ancien patron et de reprendre sa vie
d'autrefois.
Notons en passant quelques types. En voici un assez curieux: c'est un petit
homme légèrement obèse dont la physionomie rappelle
vaguement celle de Sainte-Beuve; comme l'auteur des Causeries du lundi,
il ne perd pas une ligne de sa taille. Il est instruit, correcteur
expérimenté, mais irascible et pointilleux: il a fait le tour des
imprimeries de Paris traînant avec lui toute une bibliothèque. Au
moindre mot il s'offense, tempête et finalement déménage.
Un autre est si amoureux de sa profession, si méticuleux, si rigide
même, qu'il ne peut souffrir qu'une correction indiquée par lui
soit omise. Il y a quelques années il était correcteur en
première à l'imprimerie C... Un jour, il ajouta une virgule que
le correcteur en seconde fit enlever. Le corrigeur, trouvant là une
occasion excellente de mettre les deux correcteurs aux prises, s'empressa
d'informer le correcteur en première que son collègue avait
frappe sa virgule d'ostracisme. Aussitôt notre homme prend feu, va
trouver son voisin et défend sa correction; l'autre maintient celle
qu'il a indiquée. On discute, on s'emporte, et, comme toujours, on ne
s'entend pas; bref, on joue au naturel la scène de Vadius et de
Trissotin. La victoire nous devons le dire est restée au correcteur en
première,, qui a suivi la feuille jusqu'au moment de la mise sous presse
et qui ne l'a quittée qu'après le tirage. A-t-on idée d'un
pareil héroïsme!
Un troisième, mort à quarante-cinq ans, avait l'air d'un
vieillard. Père d'une nombreuse famille (seize ou dix-sept enfants), il
se livrait à un travail surhumain. Pour se tenir éveillé,
il prenait du café, auquel il mêlait de l'eau-de-vie. Celle-ci,
finissant par former les deux tiers du breuvage, le tua. Il avait une
intelligence rare, jointe à une grande facilité de travail. Nous
lui avons vu apprendre le portugais en trois semaines, non de façon
à le parler mais suffisamment pour corriger en bon. Il savait, en
outre, le latin, le grec, l'anglais , l'italien et l'espagnol. Sur la fin, il
était devenu morose.
Un autre affecte des allures populacières et une mise
débraillée: il a le verbe haut, la faconde intarissable.
Poète et chansonnier à ses heures, il fredonne tous les flonflons
nouveaux. Il dédaigne le café et traite d'aristocrates les
confrères qui y vont; en revanche il fréquente assidûment
le mastroc, devant le comptoir duquel il trône et pérore
volontiers. C'est le type du correcteur poivreau. On affirme autour de
lui qu'il n'est jamais plus apte à chasser la coquille que lorsqu'il
nage entre deux... vins. Cette assertion, est-il besoin de le dire? ne doit
être acceptée que sous bénéfice d'inventaire. Quoi
qu'il en soit, grâce au bonnet et à la camaraderie, il ne
chôme presque jamais.
Pour terminer faisons le portrait d'un véritable original. C'est un
individu aux larges épaules, à la voix de Stentor: quand il vous
parle, on croirait qu'il veut vous avaler. Il n'est pas si méchant qu'il
en a l'air. Il a joui d'une grande aisance aujourd'hui disparue. Entré
tardivement dans la profession (il comptait plus de cinquante hivers), il a
souvent l'air de descendre de la lune en présence des mille incidents de
la vie d'atelier, nouvelle pour lui. Du reste instruit, piocheur, il fait
convenablement son travail. Le trait 1e plus curieux de son caractère,
c'est que, trouvant tout mal ici-bas il ne voit de bonheur vrai que dans un
autre monde; s'occupant peu de ce qui existe, il ne songe qu'à ce qui
devrait être. On pourrait le nommer l'Absolu.
Parmi ceux qui ont exercé la profession de correcteur, on compte
quelques hommes devenus célèbres. Les plus connus sont: Erasme,
Froben, Amerbach, François Raphelenge, Lascaris, Calliergi, Musurus,
Frédéric Sylburg, Roederer, l'abbé de Bernis,
Béranger, Armand Marrast, Dübner, Charles Müller, Auguste et
Martin Bernard, P.-J. Proudhon et Pierre Leroux; Joseph Boulmier, etc.
On ne doit pas s'étonner de rencontrer un grand nombre de
littérateurs parmi ces hommes qu'un labeur continu met en
perpétuel contact avec les écrivains de tout genre. Aussi, outre
ceux que nous avons cités, et à un rang inférieur, on
pourrait nommer encore des romanciers, des poètes et des journalistes:
En 1865, les correcteurs ont formé une Société qui a
été approuvée en 1866.
Elle a pour but:
" l) D'établir des liens de fraternité entre les correcteurs
d'imprimerie au moyen de rapports plus fréquents et d'échange de
bons offices;
" 2) De faciliter le placement des sociétaires sans travail, et,
après eux, des autres membres de la corporation;
" 3) De créer une caisse de secours destinée à payer une
indemnité journalière aux sociétaires atteints de maladies
ou d'infirmités temporaires;
" 4) De venir en aide à la veuve ou aux enfants du sociétaire
décédé. "
Elle n'a pas édicté de Tarif.
Limitée aux imprimeries de Paris et de la banlieue, cette
Société comprend dans son sein le tiers environ des correcteurs
employés par la typographie parisienne.
Un Syndicat des correcteurs a été fondé en 1882; il est
distinct de la Société dont nous venons de parler. Toutefois, un
grand nombre des membres de celle-ci y ont adhéré.
Mais en voilà suffisamment sur ce sujet. Peut-être même nous
accusera-t-on de nous y être attardé et d'avoir montré trop
de prédilection pour une classe de travailleurs à laquelle nous
nous faisons honneur d'appartenir.
Le teneur de copie est l'aide du correcteur en première. Il suit
sur le manuscrit, tandis que celui-ci lit à haute voix tout en
corrigeant; sa principale qualité doit être l'attention. C'est
souvent un compositeur infirme ou un vieillard. Dans un grand nombre
d'imprimeries, ce sont les apprentis qui tiennent la copie. Quelques
correcteurs préfèrent lire au pouce, c'est-à-dire
se passer de teneur de copie. Ce dernier est indispensable dans les journaux,
où le travail doit être accompli avec une
célérité prodigieuse.
[1] Les types que nous avons observés
et essayé de faire connaître dans cette Étude sont ceux des
typographes parisiens; mais le typographe parisien se confond avec le
typographe français, car, sur dix compositeurs, il en est à peine
deux qui soient nés et aient été élevés
à Paris.
[2] Typographes et gens de lettres,
ouvrage très intéressant, que nous recommandons à
l'attention des lecteurs.
[3] Typographes et gens de lettres.
[4] Voir au Dictionnaire le portrait du
rouleur, tracé d'une façon aussi exacte que pittoresque
par notre ami M. Ulysse Delestre.
[5] Le grand avocat, qui était aussi un
grand coeur; refusa de recevoir les honoraires qui lui étaient dus pour
sa plaidoirie. Les typographes trouvèrent un moyen ingénieux et
délicat de prouver leur reconnaissance: ils composèrent un volume
des Oraisons funèbres de Bossuet, et en firent tirer un seul
exemplaire qu'ils offrirent à Berryer. Cet exemplaire unique sera
recherché par les bibliomanes de l'avenir.