Quand j'étais mortel,
Javier Marias.
Traduit de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu.
Rivages, 189 p.

Difficile a priori d'imaginer moins nouvelliste que cet écrivain-là. Avec Le Roman d'Oxford, Un coeur si blanc et Demain dans la bataille pense à moi, Javier Marias s'est en effet imposé par de fascinantes constructions narratives qui ne semblaient pouvoir s'épanouir que dans l'espace du roman. Or, en abordant le genre bref, Marias n'a renoncé ni à ses monologues doucement désenchantés qui poussent l'introspection jusqu'au vertige, ni aux longues phrases sinueuses qui enserrent le lecteur dans leur toile d'araignée. Avec le résultat que les douze nouvelles de Quand j'étais mortel, nées pour la plupart de commandes pour des périodiques mais d'une remarquable cohérence thématique, suggèrent en quelques pages la matière d'un roman - comme un iceberg dont seule la pointe affleurerait à la surface du texte - et nous invitent, à l'image de leurs narrateurs, toujours placés en position de voyeur, à entrevoir un monde entre deux portes.

Ici, un invité surprend dans un couloir un couple adultère peut-être criminel. Là, un jeune marié observe depuis son balcon une inconnue qui vocifère. Ailleurs, un homme enquête sur l'assassinat d'un ami. Chacun progresse à tâtons dans un labyrinthe incertain, fait de méprises et d'illusions, aux confins, parfois, du fantastique. Mais il ne faut pas s'y tromper. Le monde feutré de Marias est habité par la violence. La mort y est omniprésente, souvent brutale (suicide, crime passionnel ou meurtre de sang froid), toujours inopinée, incompréhensible. Elle est, surtout, le lieu d'une révélation douloureuse, pour les proches du défunt, ou pour le défunt lui-même - ainsi le fantôme omniscient de la nouvelle-titre, tragiquement condamné à une lucidité intolérable. De l'inconvénient d'être vivant, de l'inconvénient d'être mort, la prose troublante de Marias balance avec, aux lèvres, un sourire navré.

Thierry Horguelin


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