La Librairie du XXIe siècle







La « Librairie » de Montaigne propose une connaissance ouverte sur le monde, une interrogation sur soi. S'inscrivant dans ce projet d'une culture générale, La Librairie du XXe siècle offre à ses lecteurs une collection d'écrits pour notre temps.

Historiens, poètes, philosophes, biologistes, ethnologues, juristes, psychanalystes, sociologues, critiques littéraires et écrivains font, pour leur plaisir et celui du lecteur, oeuvre de création. Autant parler, à propos de ces livres, d'esthétiques des savoirs. Puisqu'il s'agit, pour les auteurs de cette collection, sans s'écarter de leur discipline, de proposer des explorations inédites en prenant souvent les formes du récit.

Nombreux sont les volumes de La Librairie qui sont lus à l'étranger : quelque deux cents traductions en une vingtaine de langues. Créée à l'automne 1989, la collection deviendra La Librairie du XXIe siècle en janvier 2001.

M. O.





Catalogue



Catalogue

SYLVIANE AGACINSKI

LE PASSEUR DE TEMPS

Modernité et nostalgie

L'éternel s'oppose au temporel comme l'être à l'apparaître et la vérité à la fiction. La conscience moderne rompt avec ces oppositions métaphysiques en cessant de souffrir
du temps : elle est conscience du passage et du passager, ouverte au temps qui la traverse. La philosophie renoue avec Aristote, premier penseur moderne, parce qu'il a coupé les ponts avec l'éternité.

L'être est pour nous événement : il passe parce qu'il arrive. Dans son livre, Sylviane Agacinski propose une éthique de l'éphémère d'autant plus soucieuse de responsabilité qu'elle est privée de fondements absolus ou de finalité ultime. On est toujours aveuglément moderne.

Les techniques d'enregistrement et de télécommunication modifient désormais l'expérience du temps et celle de la mémoire : avec la photographie et le cinéma, notre époque est celle des fantômes. Non seulement les êtres passent, mais ils peuvent revenir, ce qui induit une autre conception de l'histoire et un nouveau rapport à l'anachronisme.

Avec la temporalité médiatique, qui se mondialise, se pose la question des rythmes de la vie sociale et politique. Sans succomber à la nostalgie des formes anciennes, la démocratie doit se redéfinir en tenant compte des médias et non contre eux, même si elle doit faire valoir son droit à la patience.

À paraître en février 2000


GIORGIO AGAMBEN

LA COMMUNAUTÉ QUI VIENT

THÉORIE DE LA SINGULARITÉ QUELCONQUE

Que serait une communauté sans présupposés, sans conditions d'appartenance, sans identité ? Peut-on imaginer une communauté faite d'hommes qui ne revendiquent pas une identité (être français, rouge, musulman) ? Comment penser désormais une communauté formée par des singularités quelconques, c'est-à-dire parfaitement déterminées, mais sans que jamais un concept ou une propriété puisse leur servir d'identité ?

L'être qui vient : ni individuel ni universel, mais quelconque. Singulier, mais sans identité. Défini, mais uniquement dans l'espace vide de l'exemple. Et, toutefois, ni générique ni indifférent : au contraire, tel que de toute façon il importe, objet propre de l'amour. Sa logique : les paradoxes de la théorie des ensembles, l'anonymat de l'idée, l'impossibilité radicale d'un métalangage. Son éthique : être seulement sa propre manière d'être, pouvoir uniquement sa propre possibilité ou puissance, faire l'expérience du langage en tant que tel. Sa politique : faire communauté sans présupposés ni conditions d'appartenance, exode irrévocable de
l'État, construction d'un corps communicable.

Traduit de l'italien par Marilène Raiola.
1990, 128 pages


HENRI ATLAN

TOUT, NON, PEUT-ÊTRE

ÉDUCATION ET VÉRITÉ

Peut-on enseigner la vertu (Protagoras) ? Ou bien son apprentissage n'est-il rien d'autre que l'écoute patiente du savoir scientifique et la soumission à la vérité qui s'y dévoile (Socrate) ?

L'efficacité scientifique a imposé la recherche critique de la vérité comme critère ultime en matière de formation, avec l'espoir d'une rencontre harmonieuse entre vérité, liberté individuelle et justice sociale. Mais la subtilité des problèmes d'éthique et de société que posent les sciences et les techniques sans donner les moyens de les résoudre fait éclater l'idéal socratique. C'est la revanche de Protagoras et de l'opinion, du poétique et de la rhétorique.

Prenant la mesure de ses propres limites, la raison scientifique s'identifie à un outil : la vérité qu'elle découvre et qu'elle constitue ne peut plus fonder à elle seule un système d'éducation. Associée à la critique philosophique, elle doit partager son pouvoir - sans pourtant s'y dissoudre - avec le pouvoir politique et celui des médias.

La recherche de concepts opérationnels a fait considérer la totalité, la négation et le possible comme de faux concepts, malgré leur rôle déterminant dans le développement des individus. Retrouver le tout, le non, le peut-être, au-delà du dénombrable, de la soustraction et du potentiel qui les ont remplacés, implique une relation nouvelle à la vérité et à la croyance, une recherche pragmatique du souverain Bien.

1991, 352 pages


Henri ATLAN

LES ÉTINCELLES DE HASARD

TOME 1. CONNAISSANCE SPERMATIQUE

Ne faut-il pas faire parler à nouveau la connaissance par le sexe, et par la fécondité du concept, pour entendre ce que la biologie, les sciences cognitives et la psychanalyse tentent, peut-être maladroitement, de nous dire ?

Connaissance, sexualité, hasard, incertitude, naissances et avortements, anges et démons, vieillissement, maladie et mort, les sciences et les techniquesrenvoient sans cesse à ces problèmes inhérents à la condition humaine.Nous rêvons de tout maîtriser, y compris l'incertitude. Mais l'aléatoire garde d'autant plus sa valeur que la maîtrise totale s'avère illusoire.

Le mythe s'est toujours emparé de ce type de problèmes : non seulement Prométhée, OEdipe, mais aussi le serpent des mythes bibliques, l'arbre de vie, et l'arbre de connaissance, qui rappelle que celle-ci est toujours ambivalente, le Déluge et Babel.

Dans ce livre, qui constitue le premier tome d'un
diptyque, Henri Atlan aborde quelques-uns des problèmes concernant les techniques et les sciences liées à la fabrication du vivant.Mais, pour nous éclairer, l'auteur emprunte des traverses inattendues, celles de la philosophie et des plus vieilles mythologies de l'humanité (Spinoza, la Kabbale, le Talmud).

Point de départ : suivant une légende hébraïque, Adam est séparé d'Ève pendant cent trente ans. Durant tout ce temps, il répand des gouttes de sperme. Ce sont »les étincelles de hasard»...

1999, 400 pages


MARC AUGÉ

DOMAINES ET CHÂTEAUX

L'Écho d'Ambert, Le Nouvel Observateur, La Centrale des particuliers, Demeures et Châteaux et bien d'autres journaux publient des annonces immobilières souvent illustrées de photos.

Manoirs, prieurés, châteaux, gentilhommières ou coquettes maisonnettes s'inscrivent, pour l'auteur, dans des paysages qui sont avant tout littéraires même si les souvenirs vécus et les souvenirs de lecture semblent parfois se confondre. Souvenirs d'enfance : les châteaux de la Bibliothèque rose et de la comtesse de Ségur. Souvenirs
toujours récurrents : les demeures réelles ou fictives
fréquentées à la suite de Rousseau, Nerval, Balzac, Stendhal ou Proust.

Ces maisons de mots et d'images, où l'on sait bien que l'on ne vivra jamais, nous parlent aussi du temps qui passe, de la vie qui change, d'amour et d'amitié.

Dans ce livre, Marc Augé poursuit en ethnologue l'exploration d'une mythologie moderne d'autant plus efficace qu'elle sait en chacun de nous éveiller les attentes les plus intimes.

1989, 192 pages


MARC AUGÉ

NON-LIEUX

INTRODUCTION À UNE ANTHROPOLOGIE DE LA SURMODERNITÉ

Après La Traversée du Luxembourg, Un ethnologue dans le métro et Domaines et châteaux, Marc Augé poursuit son anthropologie du quotidien en explorant les non-lieux, ces espaces d'anonymat qui accueillent chaque jour des individus plus nombreux. Les non-lieux, ce sont aussi bien les installations nécessaires à la
circulation accélérée des personnes et des biens (voies rapides, échangeurs, gares, aéroports) que les moyens de transport eux-mêmes (voitures, trains ou avions). Mais également les grandes chaînes hôtelières aux chambres interchangeables, ou encore,
différemment, les camps de transit prolongé où sont parqués les réfugiés de la planète. Le non-lieu est donc tout le contraire d'une demeure, d'une résidence, d'un lieu au sens commun du terme. Seul, mais semblable aux autres, l'utilisateur du non-lieu entretient avec celui-ci une relation contractuelle symbolisée par le billet de train ou d'avion, la carte présentée au péage ou même le chariot poussé dans les travées d'une grande surface. Dans ces non-lieux, on ne conquiert son anonymat qu'en fournissant la preuve de son identité - passeport, carte de crédit, chèque ou tout autre permis qui en autorise l'accès.

Attentif à l'usage des mots, relisant les lieux décrits par Chateaubriand, Baudelaire ou les « passages » parisiens de Walter Benjamin, l'ethnologue remarque que l'on peut se croiser à un carrefour alors que l'échangeur interdit toute rencontre. Si le voyageur flâne en chemin ou s'égare sur une route de traverse, le passager qui prend le TGV ou l'avion est déterminé par sa
destination. Aujourd'hui, les repères de l'identité et le statut de l'histoire changent en même temps que l'organisation de l'espace terrestre. Dans ce livre, Marc Augé ouvre de nouvelles perspectives en proposant une anthropologie de la surmodernité qui nous introduit à ce que pourrait être une ethnologie de la solitude.

1992, 192 pages


MARC AUGÉ

LA GUERRE DES RÊVES

Exercices d'ethno-fiction

Un nouveau régime de fiction s'instaure. Il affecte la vie sociale au point de nous faire douter de la réalité. Les reportages télévisés prennent des allures de fictions et celles-ci miment le réel. Des idylles se nouent sur Internet où l'on dialogue avec des interlocuteurs sans visage. Insensiblement, nous passons au « tout fictionnel ». Aux médiations, qui permettent le développement de l'identité, la prise de conscience de l'altérité et des liens sociaux, se substituent les médias de la solitude. La vision des désastres planétaires est désormais soumise au caprice de la télécommande.

Ces nouveaux partages entre le réel et la fiction conditionnent aussi la circulation entre l'imaginaire individuel (le rêve), l'imaginaire collectif (les mythes, les rites, les symboles) et l'oeuvre de fiction. Dans ce livre, Marc Augé rappelle la menace que fait peser, sur toute vie sociale, la confusion de ces trois pôles distincts de l'imaginaire. Chaque culture institue des frontières spécifiques entre le rêve, la réalité et la fiction.

Toute société suppose de ne pas identifier le modèle et la réalité.

Dans son ethno-fiction, parcourant l'Europe et les États-Unis, l'Afrique et l'Amérique latine, l'ethnologue nous conduit aux sources de toute anthropologie sociale. Celle-ci a pour objet, à travers l'étude des institutions et des représentations, la compréhension des relations entre les uns et les autres.

Pour Marc Augé, La Guerre des rêves a commencé. Nous n'en voyons pas toujours clairement les tenants et les aboutissants. Sans être fatale l'explosion « fictionnelle » est désormais possible. La catastrophe serait de comprendre trop tard que, si le réel est devenu fiction, il n'y a plus d'espace possible pour la fiction, ni pour l'imaginaire. Pour conclure, l'auteur nous invite à une « morale de la résistance ».

1997, 192 pages


JEAN-CHRISTOPHE
BAILLY

LE PROPRE DU LANGAGE

VOYAGES AU PAYS DES NOMS COMMUNS

Partout, dans toutes les langues, les hommes s'orientent en nommant ce qui les environne. Les noms légendent la Terre et comme tels sont déjà tout entiers des récits.

Dans ce livre, qui n'appartient à aucun genre, Jean-Christophe Bailly explore les puissances du langage - et ce que les noms communs veulent dire. En chaque nom, une vérité éloignée est détenue. Le nom est tout à la fois fiction et vestige : en chaque nom, en chaque nom commun, s'ébruite l'histoire du langage.

Dans ce livre, construit comme un labyrinthe où l'on se retrouve grâce à l'ordre de l'alphabet, l'auteur s'efforce de comprendre le bonheur qui traverse le langage. Dans
cet univers où chaque nom est un toucher, le lecteur est confronté pas à pas au propre du langage.

1997, 256 pages


MARCEL BÉNABOU

JACOB, MÉNAHEM ET MIMOUN

UNE ÉPOPÉE FAMILIALE

« à vingt ans, confesse le narrateur, j'avais conçu le projet de faire, pour nos mellahs marocains, ce que d'autres avaient si magistralement réussi pour les ghettos d'Europe centrale et orientale. Une épopée grandiose, axée pour l'essentiel - piété filiale oblige - sur l'histoire de mes ancêtres : Jacob, Ménahem, Mimoun et quelques autres. Une résurrection du passé si complète et si véridique que tous les clans familiaux qui s'étaient constitués au cours des dernières générations pourraient un jour s'y reconnaître, y communier. »

Qu'est-il advenu de cet ambitieux rêve de jeunesse ? L'auteur de Pourquoi je n'ai écrit aucun de mes livres (Prix de l'humour noir en 1986) entreprend de nous le conter, à son ironique et paradoxale façon. On croise donc bien ici des aïeux et des parents, des vizirs et des sultans, des rebelles et des brigands, des rabbins et des marchands, des cavaliers berbères dans leur burnous flottant et même, dans un coin de ce décor imposant, l'ombre menaçante d'un empereur allemand. Mais, insensiblement, au récit épique projeté va se substituer une autre histoire : celle d'un livre toujours près d'émerger et pourtant toujours à recommencer. Sans doute est-ce là, en fin de compte, le secret de cette oeuvre inclassable : s'y entrelacent, en une trame délicate, le savoir
de l'historien, les ruses de l'écrivain oulipien et la longue mémoire, obstinée, de l'enfant juif marocain.

1995, 256 pages


R. HOWARD BLOCH

LE PLAGIAIRE DE DIEU

LA FABULEUSE INDUSTRIE DE L'ABBÉ MIGNE

Les aventures de Jacques-Paul Migne relèvent autant du feuilleton judiciaire que de l'histoire de l'Église de France.

Nous sommes à Paris, dans les années 1840. Dans un
contexte de production de masse d'objets standardisés, vendus au prix le plus bas au plus grand nombre, l'abbé Migne n'a qu'un seul rêve : créer un « Palais de l'industrie catholique », populariser le patrimoine de l'église pour endiguer les effets redoutables de la Révolution en imprimant les écrits des « bons Pères à bon marché ».

Pour donner libre cours à sa vocation, rien ne lui est interdit : faillites frauduleuses, pots-de-vin, pillages des éditions existantes. Se prenant pour l'éditeur de la vérité éternelle de l'Église, ce plagiaire de Dieu, qui affronte des autorités épiscopales, est poursuivi par les tribunaux.

Aussi naïf qu'avide de gloire et de succès, le petit prêtre auvergnat devint ainsi son propre agent publicitaire (le « Napoléon du prospectus ») ; grand patron de presse, il dirigea une dizaine de journaux ainsi qu'une des plus importantes entreprises éditoriales du XIXe siècle : les Ateliers Catholiques, avec ses quelque six cents ouvriers fondeurs, typographes, imprimeurs, lecteurs d'épreuves, relieurs, comptables et coursiers.

De ce Rastignac en soutane, R. Howard Bloch fait plus que nous conter la fabuleuse ascension. à la manière rigoureuse d'une enquête policière, l'historien américain restitue, à l'aide des archives, une époque et un milieu. Il analyse la corruption de la presse, de l'édition et leur collusion avec le monde de la publicité qui prend son essor sous la monarchie de Juillet.

Si la vie de l'abbé Migne paraît si romanesque, c'est sans doute parce qu'elle puise ses motifs aux mêmes sources que les grandes figures de l'épopée balzacienne.

Traduit de l'américain par Pierre-Antoine Fabre.
1996, 256 pages


YVES BONNEFOY

LIEUX ET DESTINS DE L'IMAGE

UN COURS DE POÉTIQUE AU COLLÈGE DE FRANCE (1981-1993)

Ce que j'ai voulu et tenté : poser la question de la poésie en témoin de sa propre époque ; analyser pour cela les voies de la création poétique dans de grandes oeuvres du passé - reconnues en leur différence grâce aux travaux historiques - mais en observant aussi et d'abord dans l'être qu'on est les circonstances et les démarches - hésitations, aspirations contradictoires, affirmations de valeurs là même où l'on veut que les faits prévalent - du travail auquel on se voue; reconnaître ainsi, au point d'origine de l'intuition poétique, la parenté de l'entreprise des peintres, des musiciens, des poètes, cordes, chacun, d'une unique lyre; et comprendre, au terme s'il en est un de l'enquête, la nature et le rôle de cette « fonction poétique » dont on voit bien qu'elle procure parfois assez de sens à la vie pour que celle-ci continue, malgré le peu de réponse qu'elle sait qu'elle doit attendre du lieu naturel renoncé dès l'institution du langage.

Un grand projet ! Mais si vaste, autant qu'ambitieux, qu'il en devenait raisonnable. D'évidence, en effet, il ne pouvait s'agir sur un tel chantier que de relevés préliminaires. [...]

Il y a des esprits qui misent sur le langage, mais il en est d'autres qui sont sensibles d'emblée aux insuffisances et aux leurres de ce langage qu'ils n'en aiment pas moins pourtant - étant peut-être même de ceux qui l'affectionnent le plus, présence blessée, précaire. Et pour ma part je crois que c'est seulement quand on s'attache à lui, et à sa parole, de cette seconde façon, avec soupçon, sentiment de l'exil au sein des mots, et donc nostalgie, élan de tout l'être, exigence, que l'on accède à un sentiment de la plénitude qui ouvre - et c'est alors la poésie même - à la mémoire de l'immédiat et à l'expérience de l'unité. Y.B.

1999, 288 pages


PHILIPPE BORGEAUD

LA MÈRE DES DIEUX

DE CYBÈLE À LA VIERGE MARIE

à l'aube de notre civilisation, on trouve une grande
déesse préhistorique, Mère des dieux et des hommes. Psychanalystes, anthropologues et féministes se sont passionnés pour cette figure de mère archaïque, à l'origine des théories d'un matriarcat universel. Mais où se trouve donc, dans la documentation historique, la Mère des dieux ? S'agit-il d'une Déméter sauvage ou de Cybèle entourée de son cortège de prêtres eunuques ? Et la Vierge Marie est-elle l'héritière monothéiste de ces cultes polythéistes qui sont nés au confluent du vieil Orient, de l'Anatolie et de la Grèce archaïque avant de se retrouver à Rome ?

S'appuyant sur une documentation riche et cohérente, qui va du IIe millénaire au IVe siècle de l'ère chrétienne, Philippe Borgeaud s'inscrit résolument dans une démarche historique. Montrant l'inanité des théories qui ont, depuis plus d'un siècle, créé une nébuleuse universelle emprisonnant la figure de la déesse archaïque, l'auteur restitue la Mère des dieux à sa pluralité archéologique.

Entre richesse symbolique et rigueur historique, Borgeaud invite à repenser la complexité de la figure maternelle dans les sociétés anciennes aux origines de la chrétienté.

1996, 320 pages


ITALO CALVINO

LA MACHINE LITTÉRATURE

« On écrit un livre pour qu'il puisse être placé à côté d'autres livres, pour qu'il entre sur une étagère hypothétique et, en y entrant, la modifie en quelque manière, chasse de leur place d'autres volumes ou les fasse rétrograder au second rang, provoque l'avancement au premier rang de certains autres. (...)

« L'opération d'un écrivain est d'autant plus importante que l'étagère idéale où il voudrait se situer est une étagère encore improbable, portant des livres qu'on ne s'est
pas habitué à placer l'un à côté de l'autre, et dont la juxtaposition peut produire des décharges électriques, des courts-circuits. »

Par son approche inattendue des grandes oeuvres de la littérature, Italo Calvino provoque ces « courts-circuits » qui suscitent des interrogations de toujours : qu'est-ce que la littérature depuis le premier conte du premier conteur ? Quels sont ses rapports avec la politique, la science, la philosophie ? Que signifient le comique, l'érotique, le fantastique ?

Telles sont quelques-unes des questions que soulève Calvino, sans oublier que jouer le jeu de l'écriture, c'est
laisser passer du sens, et un sens précisément que la communication quotidienne échoue à dire : lancer une sorte de défi du langage au réel.

Traduit de l'italien par Michel Orcel et François Wahl.
1993, 240 pages


ITALO
CALVINO

POURQUOI
LIRE LES CLASSIQUES

« Les classiques sont ces livres dont on entend toujours dire : Je suis en train de le relire... et jamais : Je suis en train de le lire. »

« Les classiques sont des livres qui exercent une influence particulière aussi bien en s'imposant comme inoubliables qu'en se dissimulant dans les replis de la mémoire. »

« Les classiques sont des livres que la lecture rend d'autant plus neufs, inattendus, inouïs, qu'on aura cru les connaître par ouï-dire. »

« Les classiques nous servent à comprendre qui nous sommes et où nous en sommes arrivés. »

De Xénophon et Pline à Borges, Queneau, Ponge et Perec, en passant par l'Arioste, Galilée et le Robinson Crusoé de Defoe, Diderot, Dickens et Flaubert, Tolstoï, Maupassant et Tchekhov, les classiques d'Italo Calvino défilent sous nos yeux. D'autres encore font partie de ces « immortels » par rapport auxquels l'auteur a pu se définir, nous offrant au passage ses commentaires les plus savoureux.

Traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro.
1993, 280 pages


PAUL CELAN

CELUI QUI MARCHE SUR LA TÊTE ...

Le Méridien et autres proses

« ... simplement il lui était parfois désagréable de ne pouvoir marcher sur la tête. »

Celui qui marche sur la tête, Mesdames et Messieurs, celui qui marche sur la tête, il a le ciel en abîme sous lui.

Mesdames et Messieurs, il est aujourd'hui passé dans les usages de reprocher à la poésie son « obscurité ». Permettez-moi, sans transition, - mais quelque chose ne vient-il pas brusquement de s'ouvrir ici ? - permettez-moi de citer un mot de Pascal que j'ai lu il y a quelque temps chez Léon Chestov : « Ne nous reprochez pas le manque de clarté puisque nous en faisons profession ! » Sinon congénitale, conjointe au moins et adjointe à la poésie en faveur d'une rencontre à venir depuis un lieu lointain ou étranger - projet de soi-même peut-être -, telle est cette obscurité.

P. C.

Traduit de l'allemand par Jean Launay.
À paraître.


MICHEL CHODKIEWICZ

UN OCÉAN SANS RIVAGE

IBN ARABî, LE LIVRE ET LA LOI

Immense, difficile, controversée, l'oeuvre d'Ibn Arabî (1165-1240) n'en a pas moins marqué de son empreinte huit siècles de vie spirituelle en Islam, du Maghreb à l'Extrême-Orient. Son auteur l'affirme tout entière puisée dans le Coran, l'« océan sans rivage ». C'est ce que Michel Chodkiewicz a entrepris de vérifier dans cette étude qui analyse de nombreux textes, parmi lesquels cette somme prodigieuse que constituent les Futûhât Makkiyya, les « Illuminations de La Mecque ».

Cet ouvrage met en évidence les principes herméneutiques qui gouvernent Ibn Arabî dans l'interprétation du Livre : loin d'être allégorique, l'exégèse la plus profonde et la plus neuve naît toujours chez lui de la plus scrupuleuse attention à la lettre. Il montre aussi qu'en tous ses écrits le Coran est visiblement ou invisiblement présent à la fois dans la texture de l'enseignement qu'ils enferment et dans la structure qui en ordonne l'exposé, révélant ainsi la cohérence d'une subtile architecture dont la logique échoue à rendre compte.

Ce livre fait apparaître enfin que, pour Ibn Arabî, le voyage initiatique est un voyage dans la Parole divine elle-même. Mais la Révélation n'est pas seulement message, anamnèse de vérités perdues : elle est Loi, rappel aux créatures du statut de leurs « exemplaires éternels ». Et c'est sous la conduite de la Loi, dans la plus rigoureuse observance de ses prescriptions, que doit s'accomplir, à travers les « demeures du Coran », cette ascension au terme de laquelle la sainteté atteint sa plénitude.

1992, 224 pages


ANTOINE COMPAGNON

CHAT EN POCHE

MONTAIGNE ET L'ALLÉGORIE

On n'a pas fini de déchiffrer des sens cachés dans les Essais de Montaigne. L'allégorie suppose qu'un autre sens se terre sous la lettre. Le texte ne veut pas dire ce qu'il dit : il veut dire ce qu'il ne dit pas. Dès qu'on entre dans le champ du non-dit, de l'esprit, de la figure, s'ouvrent toutes grandes les écluses de l'interprétation. Et une allégorie peut toujours en cacher une autre.

En 1992, on a célébré le quatrième centenaire de la mort de Montaigne en acclamant sa vision de l'Autre : à eux seuls, les Essais nous rachètent de cinq siècles de colonialisme.

L'anachronisme triomphe lors des commémorations : en 1892, la Troisième République, ne sachant que faire de l'auteur des Essais, l'opposait à La Boétie et l'accouplait à Renan.

La tradition de l'allégorie semble pourtant se dissoudre dans les Essais. Mais peut-elle disparaître pour de bon ? C'est dans la seule page où Montaigne fait allusion à l'allégorie biblique que Pascal trouve l'ébauche de la gradation, cette dialectique des contraires qui légitime l'ordre politique et social.

La pensée politique de Pascal est aussi scandaleuse que celle de La Boétie. C'est la place de Montaigne, entre La Boétie et Pascal, qu'on ne cesse d'interpréter. La tentation de l'allégorie n'est-elle pas aussi grande que l'amour de la littérature ?

1993, 160 pages


HUBERT DAMISCH

UN SOUVENIR D'ENFANCE PAR PIERO DELLA FRANCESCA

à mi-chemin entre l'hommage et la satire, à la fois proche et lointain de « l'homme Léonard » de Freud, Hubert Damisch oublie « l'homme Piero » pour analyser une oeuvre d'art construite comme un souvenir d'enfance qui met en scène la plus vieille question de l'humanité : D'où venons-nous ? Et, d'abord, d'où viennent les enfants ?

De la légende d'OEdipe au mystère chrétien de l'Incarnation, d'innombrables mythes racontent l'énigme de la conception et de la naissance comme un récit des origines de la mémoire humaine.

Pour dire Un Souvenir d'enfance par (et non de) Piero della Francesca, Hubert Damisch envisage une fresque au motif singulier : la Vierge, vêtue d'une longue robe bleue déboutonnée sur le devant et les côtés, a la main gauche posée sur la hanche ; des doigts de la main droite, elle effleure la longue fente qui s'ouvre sur un ventre bombé.

Ce geste sans exemple est celui de la Madonna del parto de Monterchi, non loin de Borgo San Sepolcro où Piero naît en 1406. L'auteur nous invite à le suivre dans le silence de cette chapelle toscane.

à la compréhension historique de la « Vierge de l'enfantement » dans l'oeuvre d'un Piero à la fois peintre et mathématicien, alliant l'intuition au concept, Hubert Damisch joint une dimension anthropologique. Par-delà la fiction sacrée du mystère chrétien, l'image de cette Vierge entrevue n'a rien perdu de ses pouvoirs : elle renoue avec la mémoire archaïque de la « toujours jeune humanité ».

1997, 192 pages


MICHEL DEGUY

à CE QUI N'EN FINIT PAS

THRÈNE

Le thrène est un chant funèbre accompagné de danses.

Te survivre ne va pas de soi.

Je ne crois à aucune survie hors celle qui est la mienne pour aujourd'hui et qui reprend la peine au réveil.

Je ne crois à aucun commerce avec les morts hormis celui que j'entretiens avec ton empreinte en moi.

Je ne crois à aucune vie éternelle, nous ne nous retrouverons jamais nulle part, et c'est précisément ce défoncement du futur qu'aucun travail de deuil ne remblaiera en quoi consiste la tristesse, cette tristesse qui disparaîtra à son tour avec « moi ».

Il y a un mois mourait ma femme. Je ne peux dire tu mourais, d'un tu affolant, sans destinataire ; et je dis bien « mourait », non pas dépérissait ou lisait ou voyageait ou dormait ou riait, mais « mourait », comme si c'était un verbe, comme s'il y avait un sujet à ce verbe parmi d'autres.

Le livre sera non paginé - parce que chaque page, ou presque, pourrait être la première, ou la nième. Tout
recommence à chaque page ; tout finit à chaque page.

M. D.

1995, 224 pages


DANIELE DEL GIUDICE

QUAND L'OMBRE SE DÉTACHE DU SOL

Quand l'ombre se détache du sol raconte comment il se peut qu'un jour on doive apprendre à voler tout seul, à se perdre comme on se perd dans la vie ou dans un mauvais rêve.

Un vieux monsieur dans un aéroport désert, quelques fantômes de pilotes disparus, Bruno, le maître de l'art du vol, et le jeune homme anxieux qui recule le moment de décoller, tous les personnages brûlent d'une passion qui les porte au point ultime où l'existence joue avec la mort : le brouillard, la moindre erreur d'appréciation météorologique peut être fatale.

Dans ce roman, les personnages se trouvent dans une position extrême, contraints à chaque instant de faire le point sur eux-mêmes. Chaque chapitre est un décollage pour une aventure inconnue. Le narrateur poursuit la trace d'un maître qui sait détacher l'ombre du sol, d'un pilote qui, entre vertige et équilibre, connaît l'art du gouvernail.

Dans une langue d'une grande intensité, Daniele Del Giudice nous offre un conte pour adultes où se dévoile un univers d'images et de sensations.

Entre ciel et terre, le mode d'emploi de l'aviateur est également un manuel de l'âme en quête d'un équilibre qui toujours échappe. Car si le disciple a tout à apprendre, le maître n'a jamais vraiment quelque chose à enseigner.

Dans les manoeuvres de vol comme dans les conduites de l'existence, la maîtrise peut aussi être une affaire de laisser-aller. écrit avec autant de rigueur que de fantaisie, ce roman initie son lecteur à une météorologie personnelle.

Traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro.
1996, 160 pages


DANIELE DEL GIUDICE

L'OREILLE ABSOLUE

Les personnages de ce livre sont animés par une nécessité inquiétante: leur monde imaginaire bascule dans l'action, brouillant toute frontière entre le fantasme et la réalité pratique.

C'est ainsi qu'un morceau de musique perdu dans l'éther constitue le mobile d'un homicide sans assassin; violer la mort devient admissible grâce à la persuasion, à la séduction du discours ; dans une nouvelle lancée sur le Réseau, le récit précis et cruel de la lutte corps à corps de deux femmes franchit la fiction en devenant expérimentation directe du Mal ; une nuit napolitaine encanaillée s'enfonce dans la géométrie sans issue d'une machine de sépulture du XVIIIe siècle ; une ancienne
forteresse, presque un objet magique, convoque des corps en bataille et une vraie victime à l'époque de la pure virtualité ; enfin, le passage d'une comète transforme l'observation en amour érotique.

Chacun des personnages de ces six histoires est obsédé par une manie qui le dépasse. La richesse des langages s'unifie dans le sentiment et dans la sensation physique, dans l'omniprésence du corps, selon le parcours annoncé par l'un des héros : « J'aimerais vous conduire jusqu'au point où l'on cesse de comprendre, où l'on cesse d'imaginer ; je voudrais vous conduire là où l'on commence à sentir. »

Dans les récits de Del Giudice, l'écriture gouverne une
histoire où les premiers à être impliqués - à garder leur souffle suspendu - sont le narrateur et le lecteur, pions du suspens, héros du désir et du pari avec la mort. C'est justement de ce pari, de l'ironie qu'il requiert, que naît l'aventure.

Traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro.
1998, 176 pages


MIREILLE DELMAS-MARTY

POUR UN DROIT COMMUN

À la fois théorique et pratique, le livre de Mireille Delmas-Marty propose une recomposition des paysages juridiques nationaux et internationaux. L'auteur plaide pour un droit commun, dans tous les sens du terme : accessible à tous au lieu d'être réservé aux seuls interprètes officiels, commun également aux différents secteurs du droit malgré la spécialisation croissante ; commun enfin à divers États, qui n'abandonneraient pas pour autant leur identité.

Sans renoncer aux acquis de la pensée juridique traditionnelle, Mireille Delmas-Marty montre que la rigueur du raisonnement peut aussi s'appliquer à des objets instables ou imprécis. Partant des droits de l'homme, l'auteur propose de fonder un « droit des droits » dont l'objectif serait de rapprocher, et non d'unifier, les différents systèmes.

Un ouvrage pionnier qui ouvre la voie vers un droit
pluraliste devenu « l'affaire de tous ».

1994, 320 pages


MARCEL DETIENNE

COMPARER L'INCOMPARABLE

Au Chaland !

Entre Historiens et Anthropologues, depuis plus d'un siècle, le champ du comparatisme s'étend à perte de vue. Il est en friche. Pourquoi ? Parce que la science historique est née avec et pour la Nation, parce que les Historiens d'Europe naissent encore aujourd'hui nationaux, alors que l'Anthropologie s'est voulue d'emblée comparative, qu'elle n'a jamais imposé de frontière entre les sociétés d'autrefois et les cultures d'ailleurs.

Un pamphlet ? Oui, et théorique. Pour dénoncer les mensonges et les dangers mortels de l'Incommensurable, de l'Incomparable des Nationaux de tout poil. Pour montrer ensuite comment construire des comparables : qu'il s'agisse de voir comment des pratiques d'assemblée entre l'Éthiopie, les cités grecques et les Cosaques du XVe siècle dessinent un lieu du politique et esquissent des formes de démocratie distinctes ; ou bien quelle est l'alchimie de tant de purifications ethniques en regard de l'idéologie athénienne d'une pure autochtonie, de la représentation fantasmatique d'un Français, dit de souche, et des parcours de civilités autres qui ont choisi de séparer la terre et les morts sans avoir lu Barrès ni connu la fureur des bons Aryens.

Comparatisme constructif, avez-vous dit ? Sans l'ombre d'une hésitation, et délibérément postdéconstructionniste.

M. D.

à paraître en janvier 2000


MILAD DOUEIHI

HISTOIRE PERVERSE
DU COEUR HUMAIN

Les aventures du coeur humain orientent plus d'un mythe et d'innombrables chefs-d'oeuvre de la littérature ancienne et moderne.

Organe central, microcosme à l'image de l'univers culturel qui le conçoit, le coeur suscite amour et violence, passions érotique et mystique, don de soi ou meurtre sanglant.

On retrouve ainsi, du Moyen âge à la fin du XVIIe siècle, d'étranges histoires mêlant une cuisine de l'horrible à la dévotion amoureuse lorsque le mari jaloux tue l'amant de sa femme pour lui offrir son coeur en pâture.

à la rivalité entre époux peut se substituer la relation du père avec sa fille. Et dans cette cuisine macabre, le coeur peut s'associer au sexe de l'amant.

Au-delà des tensions de l'amour courtois, Milad Doueihi évoque l'image du coeur dévoré, lorsque Francis Bacon rappelle que « ceux qui n'ont point d'amis à qui s'ouvrir sont pour leur propre coeur des cannibales ». L'auteur montre aussi combien la théologie du Sacré Coeur a pu jouer un rôle déterminant dans les légendes de coeur mangé. Ou encore, comment ces histoires de consommation perverse peuvent s'éclairer par le mystère de l'Eucharistie - consommation magique et mystique du corps du Christ.

Pour les théologiens, le Christ demeure le coeur et le centre de l'histoire.

La découverte de la circulation du sang par Harvey, en 1628, et la physique cartésienne font perdre au coeur sa centralité symbolique au profit du cerveau. Inaugurant de nouvelles perspectives, Pascal ouvre alors au coeur les voies subtiles de l'intelligence intuitive, à l'articulation de la mystique et de la science.

Traduit de l'américain par Pierre-Antoine Fabre.
1996, 224 pages


JEAN-PIERRE DOZON

LA CAUSE DES PROPHÈTES

POLITIQUE ET RELIGION EN AFRIQUE CONTEMPORAINE
suivi de LA LEÇON DES PROPHÈTES
par MARC AUGÉ

Qui sont-ils ces prophètes africains en soutane et turban blanc, enrubannés de bandelettes rouges, arborant un crucifix noir et une bible imposante, quelquefois aussi flanqués d'une queue de panthère chassant diables et esprits malfaisants ? Quel fut, durant la colonisation et jusqu'aujourd'hui, le rôle historique joué par ces apôtres de la modernité africaine qui témoignent d'un syncrétisme singulier, louent les prophètes des Hébreux, Jésus-Christ et Mahomet tout en restant fidèles à d'anciennes croyances païennes ?

Moins exotiques qu'il n'y paraît, les mouvements prophétiques ont été et demeurent déterminants pour répondre aux crises successives (politiques, économiques, sociales, religieuses, et aujourd'hui, les périls du sida) qui ont structuré, depuis plus d'un siècle, de nombreuses nations africaines.

Dans ce livre, Jean-Pierre Dozon analyse les processus complexes qui ont permis aux cercles de prophètes de se multiplier en s'assurant une position influente, en Côte d'Ivoire - où Houphouët-Boigny était entouré d'un halo prophétique - mais aussi en Afrique du Sud, au Congo-Brazzaville, au Zaïre-Kinshasa, au Ghana... et jusqu'en Océanie, ainsi qu'en Amérique du Nord et du Sud.

Au-delà des tensions entre tradition et modernité, La Cause des prophètes permet de mieux comprendre les contradictions d'une époque où les avancées prodigieuses de la rationalité peuvent s'allier au développement de nouvelles croyances religieuses.

1995, 304 pages


NORBERT ELIAS

MOZART SOCIOLOGIE D'UN GÉNIE

C'est en 1980 que Norbert Elias songe à faire son Mozart, et c'est l'éditeur de ses oeuvres, Michael Schröter, qui assure aujourd'hui la publication posthume de cet inédit. Contre les musicologues qui ont momifié Mozart, Elias s'efforce de comprendre qui fut cet artiste génial, né dans une société qui ne connaissait pas encore la notion romantique de « génie ».

Les tensions qui déchirent l'existence quotidienne de Mozart, les rapports complexes avec son père, ses relations érotiques et ses tourments sont approchés avec autant de rigueur que de tendresse. Elias analyse également les comportements de ce « clown », son besoin irrépressible de choquer la noblesse de cour en faisant des gestes déplacés, en proférant des mots obscènes. Ces grossièretés scatologiques trouvent ici une explication à la fois psychologique et sociologique lorsque l'auteur décrit les relations tendues qui lient entre eux dominants et dominés, maîtres de la cour et serviteurs. À ce propos, Elias écrit : « Comme beaucoup d'individus occupant une position marginale, Mozart souffrait des humiliations que lui infligeaient les nobles de la cour, et il s'en irritait. Mais ces réactions d'aversion à l'égard de la couche sociale supérieure allaient de pair avec des sentiments intensément positifs : c'est précisément de ces mêmes gens qu'il voulait être reconnu, par eux qu'il voulait être considéré et traité comme un individu de valeur égale à cause de sa création musicale. »

En refermant le Mozart d'Elias, on a le sentiment d'avoir découvert un regard aussi lucide que généreux sur la vie des hommes en société.

Traduit de l'allemand par Jeanne Étoré et Bernard Lortholary.
1991, 256 pages


RACHEL ERTEL

DANS LA LANGUE DE PERSONNE

POÉSIE YIDDISH DE L'ANÉANTISSEMENT

Itzhak Schipper, mort à Maïdanek en 1943, confiait à Alexandre Donat : « Tout ce que nous savons des peuples assassinés est ce que leurs assassins ont bien voulu en dire. Si nos assassins remportent la victoire, si ce sont eux qui écrivent l'histoire[...] ils peuvent nous gommer de la mémoire du monde[...]. Mais si c'est nous qui écrivons l'histoire de cette période de larmes et de sang - et je suis persuadé que nous le ferons - qui nous croira ? Personne ne voudra nous croire, parce que notre désastre est le désastre du monde civilisé dans sa totalité. »

Pour dire le désastre absolu qui frappe le peuple juif d'Europe, les poètes yiddish captent des fragments, des éclats de vérité. Ils sont soumis à un double impératif : l'impossibilité d'exprimer l'indicible qui se confond avec l'obligation de témoigner.

Au ghetto, à Varsovie, à Vilno, à Lodz, à Cracovie, plus tard dans les camps, à Treblinka, à Auschwitz, avant la mort dans les chambres à gaz, on écrit dans l'urgence. S'arrachant au mutisme, une poétique du cri perce le silence du monde, sa surdité et sa cécité, pour l'obliger à entendre, à voir.

Émotion et rigueur historique se conjuguent pour faire surgir la force poétique de ces innombrables textes sauvés de l'oubli.

Rachel Ertel nous restitue les voix d'une poésie de l'anéantissement : à notre tour, nous devenons « le témoin du témoin ».

1993, 224 pages


ARLETTE FARGE

LE GOÛT DE L'ARCHIVE

L'archive naît du désordre. Elle prend la ville en flagrant délit. Mendiants, voleurs, gens de peu sortent un temps de la foule. Une poignée de mots les fait exister dans les archives de la police du XVIIIe siècle.

Évidentes autant qu'énigmatiques, on peut tout faire dire aux archives, tout et le contraire, puisqu'elles parlent du réel sans jamais le décrire. Le travail d'historien s'impose donc ici dans toute sa rigueur, sa modestie.

Ce livre, qui puise son information dans les manuscrits du XVIIIe siècle, raconte également le métier d'une historienne habitée par la passion des archives. Arlette Farge invite alors le lecteur à la suivre dans son plaisir quasi quotidien d'« aller aux archives ».

1989, 160 pages


ARLETTE FARGE

DIRE ET MAL DIRE

L'OPINION PUBLIQUE au XVIIIe SIÈCLE

Quelque chose se passe au XVIIIe siècle qui permet au peuple d'exister en politique. Le goût pour l'information, la curiosité publique se développent dans un espace urbain qui met les individus en situation de « savoir sur l'autre ». Le public vit entre le vrai et le faux, l'information et le secret, la rumeur et la publicité, le possible et l'invérifiable ; ses incertitudes, aiguisées par les manipulations politiques et policières, renforcent encore sa soif de savoir. Car le menu peuple veut connaître les ressorts qui animent les rumeurs sur l'assassinat du roi, ou encore les affaires de diables, de poisons, d'alchimie et d'autres magies.

Dans ce livre, Arlette Farge montre comment se construit une parole publique que les autorités craignent, pourchassent et incitent tout à la fois. Elle observe quelles sont les tactiques d'approche de la chose publique pour ceux qui en sont les exclus.

Avec Dire et mal dire, Arlette Farge nous donne un livre sur un sujet inédit qu'elle défriche dans les archives : l'opinion publique au XVIIIe siècle.

1992, 320 pages


ARLETTE FARGE

LE COURS ORDINAIRE DES CHOSES

DANS LA CITÉ
DU XVIIIe SIÈCLE

On le sait, l'historien expose les formes et les structures des situations sociales, en étudie les évolutions dans le temps, parfois y marque discontinuités et ruptures. Quelque chose me dit qu'il faut aller ailleurs. Car dans l'archive se lit le poids des êtres parlants, ce battement de l'histoire que l'histoire efface sous son récit officiel. Ici, dans les textes, existent des locuteurs qui racontent leurs histoires et des histoires. Aucun récit ne se ressemble, chacun ressemble autant au réel qu'à de la fiction.

J'essaie d'extirper du magma des sources des figures aux existences réelles avec des mots qui cherchent le rythme de vies à présent défuntes ; j'ajoute du récit au récit des textes, en décollant un peu les mots, en m'accrochant aux destins racontés, aux gestes, aux objets, aux ruses. Sans faire de glose. Avec l'absurde et obstiné dessein de hisser les paroles retrouvées. Avec la nécessité de faire histoire avec elles et d'en faire un enjeu. Dire l'autre en histoire, c'est observer un disparu en même temps que regarder son double ; et suggérer que dans les singularités qui lui appartiennent se joue un essentiel que l'on ne doit pas manquer.

A. F.

1994, 160 pages


ARLETTE FARGE

DES LIEUX POUR L'HISTOIRE

à chaque époque, l'historien s'efforce de concilier les exigences de l'objectivité et la nécessité où il se trouve de réinterpréter le passé à la lumière du présent. Mais face à ce qui est, face à ce qui vient, que dit l'histoire?

Dans ce livre, Arlette Farge réfléchit sur la responsabi-
lité de l'historien face au présent : penser la souffrance, la cruauté, la violence, la guerre, sans les réduire à des fatalités, c'est aussi vouloir expliquer les dispositifs, les mécanismes de rationalité qui les ont fait naître.

Les sciences de l'homme ont eu tendance à considérer le champ émotionnel comme ne résultant que du physiologique, de l'irrationnel. Or la souffrance humaine n'est pas anecdotique : l'événement singulier est un moment d'histoire. L'opinion des gens, la parole, l'événement qui
surviennent font partie des lieux politiques de l'histoire. De même, la différence des rôles sexuels n'est pas une fatalité ; elle est soumise aux variations de l'histoire.

L'oeuvre de Michel Foucault, avec qui Arlette Farge a publié en 1982 Le Désordre des familles, sert ici d'appui pour penser certains enjeux de l'écriture de l'histoire.

1997, 160 pages


LYDIA FLEM

L'HOMME FREUD

Après La Vie quotidienne de Freud et de ses patients, Lydia Flem nous fait rencontrer Freud, la plume à la main, écrivant le roman de l'inconscient.

À la manière d'un détective, Lydia Flem cherche
à connaître l'homme avec l'oeuvre. Elle se glisse dans son intimité créatrice pour tenter de comprendre comment il invente la psychanalyse et découvrir les secrets de son pacte avec l'inconscient. Elle restitue ses passions pour l'archéologie, l'amitié, la littérature. Elle montre comment les idées de Freud s'articulent à ses gestes quotidiens, ses lectures à son expérience clinique, ses voyages à son auto-analyse, sa vie onirique à l'élaboration de sa théorie, ses amitiés à l'écriture de son oeuvre. Tout se mêle et prend un sens, le charnel avec l'abstrait, le trivial avec le sublime, le jeu avec le sérieux. Freud dit ainsi des choses extraordinaires avec des mots ordinaires.

1991, 288 pages


LYDIA FLEM

CASANOVA
ou l'exercice du bonheur

Entre Casanova et nous, il y a presque deux siècles d'ignorance et de malentendu. On le croyait don Juan de salon et mauvais bougre, on le découvre homme des Lumières et ami des femmes.

Dans ce livre, Lydia Flem raconte comment l'enfant de Venise, malade et abandonné par sa mère, devient un homme audacieux, insolent, prêt à tout entreprendre. Casanova se jette dans l'existence sans rien vouloir en retour, sinon la plus scandaleuse des récompenses : le plaisir.

Pour les femmes, le Vénitien est un homme disponible, un amant sans conséquences. Toujours généreux, il se donne sans compter et ne trouve la volupté que lorsqu'elle est partagée. Son art de vivre est un exercice du bonheur.

À Paris, Rome, Berlin, Saint-Pétersbourg, Spa ou Londres, ce fils de comédiens se sent partout chez lui. Des salons aristocratiques aux bas-fonds, des alcôves aux couvents, des tables de jeux aux cénacles d'érudits, on le retrouve dans tous les cercles de la société du XVIIIe siècle. Tour à tour ignoré puis comblé par la bonne fortune, Casanova rebondit toujours.

Exilé dans un château de Bohême, rattrapé par la vieillesse, cet amoureux de la langue française écrit treize heures par jour l'histoire de sa vie. Dernier pied de nez à la postérité, le Vénitien devient moraliste. Non content d'avoir fait de la volupté de vivre le principe d'une existence, il affirme que le vrai bonheur est celui qu'offre la mémoire. Au-delà du plaisir, il y a encore du bonheur, voilà l'insolente morale de Giacomo Casanova.

1995, 256 pages


NADINE FRESCO

FABRICATION D'UN ANTISÉMITE

Le négationnisme, qui voudrait faire croire que le génocide des juifs perpétré par les nazis n'a pas eu lieu, n'est qu'une des formes de l'antisémitisme aujourd'hui. Mais comment devient-on antisémite ?

Personne ne naît antisémite. Et c'est dans un contexte historique spécifique qu'on le devient. Nadine Fresco illustre ce processus avec la biographie de Paul Rassinier, reconnu par les négationnistes, en France et dans le monde, comme leur père fondateur. Né en 1906, ce pacifiste, instituteur dans le Territoire de Belfort, fut successivement un militant communiste, socialiste, anarchiste. Déporté en Allemagne pour résistance, brièvement député après la guerre, il mourut en 1967. Pour comprendre comment cet homme est finalement devenu le fondateur du négationnisme, l'auteur a minutieusement reconstitué sa trajectoire, façonnée par des formations politiques, des courants et des événements déterminants de l'histoire du XXe siècle en Europe.

Portée par une écriture vive et rigoureuse, l'enquête de Nadine Fresco contribue à éclairer une question essentielle pour notre temps : comment le racisme vient-il aux gens ?

1999, 804 pages


MARCEL GAUCHET

L'INCONSCIENT CÉRÉBRAL

D'où vient que nous sommes prêts si communément aujourd'hui à admettre l'idée qu'un inconscient préside à nos actions, lors même que nous restons dans l'incertitude sur ses contenus ? Telle est la question qui fait l'objet de ce livre.

Sa réponse : ce que nous savons du fonctionnement du système nerveux, ce que nous avons appris en particulier du réflexe dans la seconde moitié du XIXe siècle. Ce sont les immenses effets intellectuels de cette découverte et des controverses auxquelles elle a donné lieu que Marcel Gauchet s'attache à mettre en lumière. Il montre comment l'inconscient trouve l'une de ses bases principales d'accréditation dans les nouveaux modèles du mécanisme de l'esprit qui en ont résulté.

Ce n'est pas seulement le Freud « neurologue » que l'on comprend mieux. Avec Nietzsche, c'est le projet d'une
critique du sujet qui s'alimente à la base de la physiologie
nerveuse. Chez Valéry, elle nourrit l'ambition d'une
psychologie authentiquement désillusionnée. L'héritage revit aujourd'hui, grâce au modèle de l'ordinateur, dans les développements de la science cognitive.

L'inconscient cérébral : un secret fil rouge de la culture contemporaine, à la racine de toute spéculation sur l'inconscient tout court.

1992, 224 pages


JACK GOODY

LA CULTURE DES FLEURS

Du rejet puritain des fleurs dans le christianisme ancien, dans l'islam ou dans la Chine de Mao à leur symbolisme
érotique qui traverse l'histoire des sociétés humaines, Jack Goody invite le lecteur à le suivre dans ses promenades, de la plus haute Antiquité à nos jours.

S'interrogeant sur le rôle effacé des fleurs en Afrique, décrivant l'invention des « paradis » et des jardins antiques, Goody observe le déclin de la culture des fleurs aux
premiers siècles de l'ère chrétienne, puis le retour de la rose dans l'Europe médiévale et l'expansion des marchés après la Renaissance.

Né de la curiosité encyclopédique de l'auteur, ce livre, qui s'attache à déceler les innombrables significations
attribuées aux fleurs, s'intéresse aux usages théologiques et profanes des fleurs autant qu'à leur valeur marchande. Jack Goody insiste aussi sur les relations qui existent partout entre l'écologie, l'idéologie, les usages esthétiques et symboliques des fleurs : rituels ou domestiques, funéraires ou amoureux, les bouquets s'inscrivent à la fois dans une archéologie de l'horticulture et dans une histoire de la consommation des biens de luxe.

Pratique liée à une esthétique de la vie quotidienne qui a suscité différents types de « langage des fleurs » à travers les siècles en Orient et en Occident, La Culture des fleurs appartient également à l'histoire économique, politique et religieuse de l'humanité.

Traduit de l'anglais par Pierre-Antoine Fabre.
1994, 640 pages


JACK GOODY

L'ORIENT EN OCCIDENT

L'Occident a longtemps perçu l'Orient comme un monde « statique » et « rétrograde », un univers aux institutions archaïques, incapable de modernité. Telles furent les conceptions de Marx, de Weber, à l'âge d'or du capitalisme. Ces idées furent propagées par les apôtres du « miracle européen » ou de « la singularité occidentale ».

Dans ce livre, Jack Goody bouleverse les idées reçues.
Il lance un défi à cette vision des choses qui soutient le postulat d'une « rationalité occidentale » propre à faire croire que « nous » serions les seuls à pouvoir accéder aux transformations de l'ère contemporaine.

Le grand anthropologue de Cambridge revient ainsi par exemple sur l'idée d'une comptabilité « rationnelle » - dont bien des spécialistes de l'histoire sociale et économique font une composante spécifique du capitalisme - pour montrer que peu de chose sépare l'histoire de l'Orient et celle de l'Occident sous le rapport de l'activité marchande. D'autres facteurs d'évaluation, imaginés comme inhibant le développement de l'Orient, tels le rôle de la famille ou les formes du travail, sont ramenés par l'auteur à une plus juste proportion.

Dans son livre, Jack Goody montre combien l'européocentrisme échoue dans ses analyses de l'Orient tout en occultant l'histoire de l'Occident.

à l'heure où les experts paraissent de plus en plus désorientés par ce qu'ils appellent « la mondialisation », L'Orient en Occident amorce un tournant fondamental modifiant notre vision globale de l'histoire des sociétés occidentales et orientales.

Traduit de l'anglais par Pierre-Antoine Fabre.
1999, 400 pages


ANTHONY GRAFTON

LES ORIGINES TRAGIQUES DE L'ÉRUDITION

UNE HISTOIRE DE LA NOTE EN BAS DE PAGE

Le texte persuade, les notes prouvent. Telle est, pour la tradition, la double dimension de l'écriture de l'histoire. Mais qui donc a inventé la note en bas de page ? à la fois forme littéraire du savoir et déchet qui déforme le récit romanesque de l'historien, la note en bas de page raconte souvent l'autobiographie refoulée des savants.

En retraçant l'évolution de la note en bas de page, Anthony Grafton veut comprendre le destin de l'érudition moderne en proposant une histoire générale des savoirs écrits. Il veut découvrir où, quand et pourquoi les historiens ont adopté la forme spécifique d'architecture narrative qui est la leur aujourd'hui.

Arme des pédants, plaie des étudiants, bête noire des « nouveaux » historiens émancipés, la note en bas de page apparaît dans ce livre comme une ressource propre, riche d'une histoire surprenante. Avec humour, Anthony Grafton montre combien les bas de page racontent les laboratoires occultes du savoir. Il propose ainsi une encyclopédie de l'incongru autant qu'une satire de la bêtise moderne. Ensuite, plus gravement, l'auteur s'interroge sur les moyens de faire la preuve de la vérité en histoire, et donc sur la fausseté possible des affirmations de l'historien : on assiste alors, par notes interposées, à la guerre des sources et à la revanche des archives.

Parmi les héros de cette histoire : Athanasius Kircher, Pierre Bayle, Edward Gibbon, les philosophes Hume, Kant, Hegel et Leopold von Ranke, le brillant historien allemand, souvent crédité, à tort d'être l'inventeur de la note érudite moderne.

Truffé d'intrigues, d'indices et de révélations inattendues, ce livre introduit à l'analyse intellectuelle des « bas de page », une histoire qui fut souvent reléguée dans les arrière-cours et les arrière-pensées de l'histoire littéraire de l'esprit humain.

Traduit de l'anglais par Pierre-Antoine Fabre.
1998, 224 pages


JEAN LEVI

LES FONCTIONNAIRES DIVINS

POLITIQUE, DESPOTISME ET MYSTIQUE EN CHINE ANCIENNE

Sur le territoire de la Chine ancienne se joue une
formidable partie de gô. Dans ce monde où les principautés sont en guerre les unes contre les autres, où les alliances se retournent au gré des saisons, le despote chinois, comme le prince de Machiavel, ne connaît que l'efficacité. À l'ombre des palais impériaux, son intelligence retorse définit un art de la manipulation politique.

Entraînant le lecteur dans un univers policier, l'auteur mène son enquête au Pays des hauts dignitaires. Il y découvre le fonctionnement des services de renseignements et les intrigues qui lient les espions entre eux. Tour à tour fidèles et dénonciateurs, ces informateurs font partie d'un monde politique où la traîtrise devient, peu à peu, une pratique institutionnelle.

Convaincu que l'intérêt de chacun passe par la domination de tous, le tyran rêve d'un pouvoir absolu. Cautionnées par la doctrine de Confucius et le taoïsme, les stratégies politiques du prince correspondent à ses choix mystiques. Il veut soumettre l'ordre social au rythme du cosmos, le naturel au surnaturel.

Du temps des Royaumes combattants, au Ve siècle avant
J.-C., à la fin des Tang au IXe siècle, Jean Levi analyse avec minutie le fonctionnement d'un appareil d'État géré par des fonctionnaires devenus divins. Son livre ouvre des perspectives inédites à toute réflexion sur les fondements religieux du totalitarisme.

1989, 320 pages


JEAN LEVI

LA CHINE
ROMANESQUE

FICTIONS D'ORIENT
ET D'OCCIDENT

Abordant le roman chinois par le détour de nos propres traditions littéraires, Jean Levi innove doublement : d'abord, en proposant, pour la première fois, une réflexion d'ensemble sur l'univers romanesque chinois ; ensuite, en initiant le lecteur à une approche comparée du romanesque en Chine et en Occident.

Le romanesque suppose une vision du monde, une conception du temps et de l'espace. La mort et l'amour s'y trouvent inexorablement enchevêtrés à des aventures mystiques et érotiques.

C'est en nous « racontant » d'innombrables fictions d'Orient et d'Occident que l'auteur propose de repenser ces catégories, si évidentes pour nous, mais qui ne le sont plus de la même manière au miroir de la Chine : l'Histoire, le Mythe et la Littérature.

Jean Levi, sinologue et romancier, invite le lecteur à le suivre dans ses voyages entre La Chine romanesque et les grandes oeuvres littéraires de l'Occident : Dante, Boccace, Cervantès, Shakespeare, Goethe, Balzac, Flaubert, Tolstoï, James, Proust, Nabokov, Borgès...

Un livre érudit, sans doute, mais qui, par l'intensité des questions posées, dépasse le champ des études chinoises puisque, fidèle à son projet d'écrivain, l'auteur s'interroge autant sur les sources du romanesque chinois que sur les fondements de la littérature occidentale.

1995, 464 pages


NICOLE LORAUX

LES MÈRES EN DEUIL

La passion éclate dans la cité lorsque les mères sont
en deuil. Car, dans une douleur de mère, l'excès toujours menace.

Aux pleurs des femmes, la politique des hommes grecs répond en prescrivant un rituel funéraire qui impose des limites à l'émotion. Mais sur la scène tragique, où le deuil maternel se mue en actes, Clytemnestre, pour venger Iphigénie, met à mort Agamemnon. Et sur les gradins, les hommes au spectacle découvrent peut-être cette souffrance de la perte qu'ils voudraient réserver aux mères.

Nicole Loraux nous conduit au théâtre. Pour comprendre comment, d'Athènes à Rome, de Shakespeare à Freud, par leur amour et leur haine, les femmes font peur aux hommes qui sont avant tout des citoyens.

Actualité des Grecs : serions-nous « civilisés » au point d'avoir oublié la colère qui naît de la douleur ?

1990, 160 pages


NICOLE LORAUX

NÉ DE LA TERRE

MYTHE ET POLITIQUE À ATHÈNES

Qu'est-ce qu'un étranger ? C'est quelqu'un, dit-on, qui vient d'ailleurs, parle une autre langue et n'est pas d'ici : il n'est pas un autochtone. Littéralement, l'autochtone surgit du sol comme une plante, il se dit né de la terre même de la patrie.

Aux origines de l'humanité, les vieux mythes politiques athéniens font ainsi naître le premier homme de la Terre-Mère. Pandora, la première femme, n'est donc pas vraiment la mère de l'humanité mais une créature seconde. Loin d'être naturelle, elle résulte d'un artifice divin, quand Zeus destine à l'humanité ce « cadeau empoisonné ». En même temps que ce « beau mal », les humains découvrent leur condition tragique d'êtres sexués et mortels, voués à la reproduction du même en s'enchaînant à autrui. Depuis, l'homme doit travailler le corps de la femme comme on laboure un champ pour l'ensemencer.

Pour comprendre comment les Anciens ont pensé les origines de la citoyenneté démocratique, dont les femmes et les étrangers sont exclus, Nicole Loraux analyse quelques-uns des grands mythes politiques de l'Athènes classique.

Dans ce livre, la plus ancienne patrie de l'imaginaire démocratique éclaire les interrogations d'une historienne qui s'intéresse aux enjeux de notre temps présent.

1996, 256 pages


PATRICE LORAUX

LE TEMPO DE LA PENSÉE

Le blocage, l'empêchement de penser, le détour, la panne se trouvent au coeur de la création : tous ces
dysfonctionnements où la pensée « grippe » sont la pensée même. Kafka, Mallarmé, mais aussi Platon, Aristote, Kant, Husserl et Wittgenstein négocient avec leurs conflits. S'ils réussissent, il y a une oeuvre, sinon, elle demeure dans les limbes - ce qui est le cas pour une partie de l'oeuvre de Mallarmé. Chez le créateur, il existe une peur essentielle, celle de poursuivre. Plutôt recommencer que poursuivre : tel est le secret désir qui paralyse. Pour Rimbaud, c'est différent. Il va très vite, ne connaît pas d'obstacle, brûle toutes les étapes en feignant de ne pas voir les difficultés. Alors que les philosophes ne cessent d'avancer en un mouvement d'aller et de retour, chez Rimbaud, il n'y a pas de retour, ou alors il aurait été catastrophique.

Troublée par l'énigme qu'elle est pour elle-même, la pensée n'existe pas sans affectivité : ce qui excite paralyse, mais, sans excitation, il n'y a pas de pensée. Ce qui suscite le désir d'écrire empêche d'écrire. Tout l'art consiste alors à négocier avec les résistances. En compagnie de Rilke, Proust, Valéry, Claudel et Beckett, l'auteur - qui a lu Freud - montre comment la raison se démène, étant entendu que la compréhension des choses n'est pas autonome. L'affectivité peut lui opposer un mur. Il faut alors consentir à un saut, à penser un pont, sans savoir quel sera le terrain inconnu découvert « en face ».

Dans ce livre, en quête d'une musique secrète (le tempo dénote un rythme qui n'est pas défini de manière absolue), il y a un désir de se déprendre du lyrisme de la pensée. Plutôt qu'une oreille séduite, l'énergie d'un pas décidé.

1993, 464 pages


MARIE MOSCOVICI

L'OMBRE DE L'OBJET

SUR L'INACTUALITÉ DE LA PSYCHANALYSE

La psychanalyse, dit-on, serait sur son déclin. Comme si, cinquante ans après la mort de Freud, l'essentiel de son message avait fait son temps. La communauté elle-même est ébranlée : certains ne rêvent-ils pas d'une psychanalyse sans analyse, d'où l'inconscient, enfin, serait évacué ?

« L'ombre de l'objet est tombée sur le moi », écrit Freud pour qualifier la mélancolie. La mélancolie dont il est ici question est celle d'une génération d'orphelins qui ne parvient pas à endosser l'héritage des fondateurs. Relisant Freud et Winnicott, Marie Moscovici laisse apparaître en filigrane l'espace occupé par Lacan dans l'état d'esprit des psychanalystes de tous bords.

1990, 160 pages


MICHEL PASTOUREAU

L'ÉTOFFE DU DIABLE

UNE HISTOIRE DES RAYURES ET DES TISSUS RAYÉS

Que peuvent avoir de commun saint Joseph et Obélix, la prostituée médiévale et l'arbitre de base-ball, les frères du Carmel et les baigneurs des années folles, les bouffons de la Renaissance et les forçats des bandes dessinées, les dormeurs en pyjama et les sans-culottes de l'an II ?

Ils ont en commun de porter un vêtement rayé, signe de leur situation sur les marges ou hors de l'ordre social. Structure impure, la rayure est en effet longtemps restée en Occident une marque d'exclusion ou de transgression. Le Moyen âge voyait dans les tissus rayés des étoffes diaboliques, et la société moderne a longtemps continué d'en faire l'attribut vestimentaire de ceux qu'elle situait au plus bas de son échelle (esclaves, domestiques, matelots, bagnards).

Toutefois, à partir de l'époque romantique, ces rayures dégradantes, sans vraiment disparaître, commencent à s'atténuer et à être concurrencées par des rayures d'une autre nature, porteuses d'idées nouvelles : liberté, jeunesse, plaisir, humour. Aujourd'hui, les deux systèmes de valeurs poursuivent leur coexistence. Mais, plus que jamais, il y a rayures et rayures. Celles du banquier ne sont pas celles du malfrat ; celles des passages cloutés ou des grilles de la prison ne sont pas celles du bord de mer ou des terrains de sport.

Retraçant cette longue histoire de la rayure occidentale, Michel Pastoureau s'interroge plus largement sur l'origine, le statut et le fonctionnement des codes visuels au sein d'une société donnée. Qu'est-ce qu'une marque infamante ? Pourquoi les surfaces rayées se voient-elles mieux que les surfaces unies ? Est-ce vrai dans toutes les civilisations ? S'agit-il d'un problème biologique ou d'un problème culturel ?

1991, 192 pages


GEORGES PEREC

L'INFRA-ORDINAIRE

Les journaux parlent de tout, sauf du journalier. Les journaux m'ennuient, ils ne m'apprennent rien. [...]

Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, le reste, tout le reste, où est-il ? Ce qui se passe chaque jour et
qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l'évident, le commun, l'ordinaire, le bruit de fond, l'habituel, comment en rendre compte, comment l'interroger, comment le
décrire ? [...]

Peut-être s'agit-il de fonder enfin notre propre anthropologie : celle qui parlera de nous, qui ira chercher en nous ce que nous avons si longtemps pillé chez les autres. Non plus l'exotique, mais l'endotique.

G. P.

1989, 128 pages


GEORGES PEREC

VOEUX

« Voeux (il s'agit de petits textes, généralement fondés sur des variations homophoniques, tirés à une centaine d'exemplaires et envoyés à mes amis à l'occasion de la
nouvelle année). »

G. P.

1989, 192 pages

BEAUX PRéSENTS BELLES ABSENTES

Hommage personnel, écrit de circonstance, contrainte littérale : trois grandes traditions de la poésie occidentale se rejoignent dans ces Beaux Présents, qui explorent de façon variée les potentialités littéraires d'alphabets restreints et poursuivent les recherches inaugurées en 1969 par Georges Perec avec son roman sans e, La Disparition.

Renouant avec les plus anciennes joies combinatoires de l'anagramme, Georges Perec les renouvelle, les systématise et les enrichit dans l'esprit d'une féconde poétique du manque. Au-delà du déchiffrement et de l'anecdote, ces pièces de patient et amical artisanat textuel invitent à la découverte d'un lyrisme généreux autant que discret.

1994, 96 pages


GEORGES PEREC

JE SUIS NÉ

Je sais, en gros, comment je suis devenu écrivain. Je ne sais pas précisément pourquoi. Avais-je vraiment besoin, pour exister, d'aligner des mots et des phrases ? Me suffisait-il, pour être, d'être l'auteur de quelques livres ? [...] Avais-je donc quelque chose de tellement particulier à dire ? Mais qu'ai-je dit ? Que s'agit-il de dire ? Dire que l'on est ? Dire que l'on écrit ? Dire que l'on est écrivain ? Besoin de communiquer quoi ? Besoin de communiquer que l'on a besoin de communiquer ? Que l'on est en train de communiquer ? L'écriture dit qu'elle est là, et rien d'autre, et nous revoilà dans ce palais de glaces où les mots se renvoient les uns les autres, se répercutent à l'infini sans jamais rencontrer autre chose que leur ombre.

G. P.

1990, 128 pages


GEORGES PEREC

LE VOYAGE D'HIVER

Le Voyage d'hiver, une brève nouvelle de Georges Perec, plonge le lecteur dans l'étrange aventure de Vincent Degraël, un jeune professeur de lettres qui fait une découverte bouleversant toutes les certitudes acquises à propos de la littérature française du XIXe siècle. Un récit fascinant consacré à un poète maudit, aujourd'hui oublié, dont l'oeuvre avait
« incendié tous ceux qui l'avaient eue en main ».

1993, 48 pages


GEORGES PEREC

CANTATRIX SOPRANICA L.

ET AUTRES ÉCRITS SCIENTIFIQUES

Parodie, pastiche, charge, caricature ? Laissons au
lecteur le soin de caractériser d'un nom chacun des textes ici rassemblés, et qui révèlent une figure parfois ignorée de Perec, celle du savant.

1991, 128 pages


GEORGES PEREC

UN CABINET D'AMATEUR

Notre éminent concitoyen Hermann Raffke, de Lübeck, n'est pas seulement célèbre pour l'excellente qualité de la bière qu'il brasse avec succès dans nos murs depuis bientôt cinquante ans ; il est aussi un amateur d'art éclairé et dynamique, bien connu des cimaises et des ateliers des deux côtés de l'Océan. Au cours de ses nombreux voyages en Europe, Hermann Raffke a su rassembler avec un discernement éclectique et sûr tout un ensemble d'oeuvres d'art anciennes et modernes dont maints musées du Vieux Continent se seraient volontiers parés et qui n'a pas à l'heure actuelle son équivalent dans notre jeune contrée [...] Hermann Raffke a su nous donner la preuve la plus éclatante de son triple attachement à la peinture, à notre ville, et à l'Allemagne, en commandant au tout jeune peintre Heinrich Kürz, dont nous sommes fiers de préciser qu'il est né à Pittsburgh de parents wurtembourgeois, le portrait qui le représente, assis dans son cabinet de collectionneur, devant ceux de ses tableaux qu'il préfère. [...]

Plus de cent tableaux sont rassemblés sur cette seule toile, reproduits avec une fidélité et une méticulosité telles qu'il nous serait tout à fait possible de les décrire tous avec précision. [...]

Un cabinet d'amateur n'est pas seulement la représentation anecdotique d'un musée particulier; par le jeu de ces reflets successifs, par le charme quasi magique qu'opèrent ces répétitions de plus en plus minuscules, c'est une oeuvre qui bascule dans un univers proprement onirique où son pouvoir de séduction s'amplifie jusqu'à l'infini, et où la précision exacerbée de la matière picturale, loin d'être sa propre fin, débouche tout à coup sur la Spiritualité vertigineuse de l'Éternel Retour. G. P.

1994, 96 pages


GEORGES PEREC

L.G.

UNE AVENTURE DES ANNÉES SOIXANTE

Entre 1959 et 1963, Georges Perec et quelques-uns de ses amis échafaudèrent longuement un projet de revue
littéraire, baptisée La Ligne générale, en référence au film d'Eisenstein.

Le groupe de La Ligne générale fut une nébuleuse aux contours incertains : une à quelques dizaines de participants, tous fort jeunes (de dix-huit à moins de trente ans), très majoritairement étudiants, assez souvent membres du parti communiste, plus souvent encore en proximité conflictuelle avec lui. De cette revue qui ne vit jamais le jour, les plus substantiels morceaux épars sont présentés ici, ceux qui furent rédigés partiellement ou totalement par Georges Perec.

Si La Ligne générale perecquienne pécha par idéalisme intellectualiste, ses modèles n'avaient rien de desséché. Dans un mélange d'optimisme et de volontarisme, ces textes disent un rêve d'épanouissement, de vie élargie que désigne ce mot de « bonheur » qui revient avec insistance. « Bonheur » dont étaient cherchées les images, contradictoires ou non, autant dans la vie chantée et dansante de la comédie musicale américaine que dans le grandiose eisensteinien ou
encore dans le rire de Rabelais, Swift ou Queneau.

À travers les textes de ce volume, on voit se mettre en place les pilotis sur lesquels Perec va édifier son oeuvre, avec une remarquable continuité dans le choix des fils conducteurs. Des romans aussi divers que Les Choses, Un homme qui dort, W ou le souvenir d'enfance et La Vie mode d'emploi sont des odyssées de la conscience qui trouvent ici une de leurs origines.

1992, 192 pages


J.-B. PONTALIS

LA FORCE D'ATTRACTION

Trois chemins : le premier conduit vers le rêve, ou
plutôt le « rêver », à partir d'un roman insolite ; le second vers le transfert, ou plutôt les transferts, à partir de Freud ; le troisième vers le précaire abri des mots à partir d'une expérience personnelle.

Trois figures de l'altérité, de notre étranger intime, qui disent la force d'attraction qu'exerce sur nous la chose même, à jamais hors d'atteinte.

Trois brefs essais qui pourraient avoir pour épigraphe le conseil donné jadis par un peintre : « Clos ton oeil
physique afin de voir d'abord avec l'oeil de l'esprit. Ensuite fais monter au jour ce que tu as vu dans la nuit. »

1990, 128 pages


JEAN POUILLON

LE CRU ET LE SU

L'unité, relative, de cet ensemble de textes écrits à des dates différentes et sur des sujets divers me semble, après coup, tenir à une attitude somme toute normale pour un ethnologue et qu'en tout cas il ne peut guère éviter, celle qui consiste à s'intéresser, chez ceux qu'il s'efforce de comprendre, à ce dont il ne croit pas un mot : religions, idéologies, mythologies... C'est justement parce qu'il n'y croit pas qu'il lui faut avant tout essayer de savoir pourquoi et, d'abord, comment d'autres y croient. L'ethnologue ne considère pas comme insanes les croyances religieuses ou autres, même si en tant qu'individu telle peut être son opinion. Il y voit plutôt des illusions sur lesquelles il convient de s'interroger car - Freud l'a tristement reconnu et l'histoire l'a abondamment prouvé - elles ont toujours un avenir. Elles possèdent une signification que dans chaque cas il s'agit de dégager et qui en elle-même n'est ni vraie ni fausse. L'indifférence anthropologique est précisément de ne pas estimer pertinente, en ce domaine, la question de vérité, ce qui permet de reconnaître paisiblement la créativité de l'illusion, ici comme ailleurs.

J. P.

1993, 176 pages


JACQUES RANCIÈRE

COURTS VOYAGES AU PAYS DU PEUPLE

Au bout de la ligne, un peu à l'écart du fleuve, vit cet autre peuple qu'on appelle simplement le peuple. Des voyageurs s'arrêtent, surpris.

Wordsworth, le poète des lacs, traverse la Révolution française, Büchner croise un pèlerin de l'Utopie saint-simonienne. Michelet et Rilke, devant la servante ou l'ouvrière, rêvent de vie réconciliée pendant que les prolétaires rêvent des mers du Sud et vont quelquefois y chasser la baleine. Sur l'écran, Ingrid Bergman incarne la femme du monde découvrant l'autre côté de la société.

Dans ces Courts voyages, Jacques Rancière nous invite à repenser les rapports entre les images et les savoirs, l'utopie et le réel, la littérature et la politique.

1990, 192 pages


JACQUES RANCIÈRE

LES NOMS DE L'HISTOIRE

ESSAI DE POÉTIQUE DU SAVOIR

Une histoire, au sens ordinaire, c'est une série d'événements qui arrivent à des sujets généralement désignés par des noms propres. Or la révolution de la science historique a voulu révoquer le primat des événements et des noms propres au profit des longues durées et de la vie des anonymes. C'est ainsi qu'elle a revendiqué en même temps son appartenance à l'âge de la science et à l'âge de la démocratie.

Mais l'âge de la démocratie et de la science des grands nombres est aussi celui du trouble littéraire et révolutionnaire : de la multiplication des paroles, des récits séduisants et des mots excessifs. Des rois y perdent leur tête et la rationalité semble parfois s'y abîmer.

Les historiens veulent garder leur tête et connaître les choses en les dépouillant de leurs noms trompeurs. Mais les choses de l'histoire ont cette propriété déroutante de s'évanouir quand on veut les rendre à leur simple réalité. La limite de la croyance scientiste en histoire, c'est l'évanouissement de l'histoire elle-même, le nihilisme révisionniste et la rumeur désenchantée de la fin de l'histoire.

Il apparaît alors que l'histoire, pour devenir science sans se perdre elle-même, a besoin de quelques tours de littérature : une autre manière de raconter la mort des rois, un autre usage des temps du récit et l'invention de personnages d'un genre nouveau, les témoins muets. C'est seulement ainsi qu'elle peut articuler en un seul discours un triple contrat scientifique, narratif et politique.

Dans ce livre, Jacques Rancière propose une poétique du savoir : étude de l'ensemble des procédures littéraires par lesquelles un discours se soustrait à la littérature, se donne un statut de science et le signifie. La poétique du savoir s'intéresse aux règles selon lesquelles un savoir s'écrit et se lit comme discours spécifique. Elle cherche à définir le mode de vérité auquel il se voue.

1992, 222 pages


JEAN-MICHEL REY

PAUL VALÉRY L'AVENTURE D'UNE OEUVRE

Attentif à la ruine des savoirs et à la crise générale des valeurs, Paul Valéry sait que la société se fonde sur le crédit, la signature, le contrat, le serment, autant de formes de croyances qui déterminent un « empire de fictions » (politiques, juridiques, économiques...). En dialogue avec le Freud de Malaise dans la civilisation, Valéry affirme « l'importance réelle de l'imaginaire » et l'efficacité du crédit, du fiduciaire dans la dynamique des mécanismes sociaux et dans la philosophie.

Cette anthropologie insolite conduit Valéry à l'hypothèse d'une « spiritualité du monde social », à la conviction que tout univers organisé est fragile et que seul le faire est
porteur d'avenir.

Après avoir consacré des livres à Nietzsche, à Freud et à Péguy, Jean-Michel Rey propose aujourd'hui une biographie intellectuelle de Valéry en restituant la part d'intelligence qui naît de son écriture fragmentaire. Au fil des chapitres, nous croisons Léonard de Vinci, Descartes, Stendhal, Poe, Wagner, Mallarmé, Walter Benjamin et, toujours, Nietzsche et Freud. À l'écart du cliché le présentant comme un « poète officiel », Jean-Michel Rey rend Valéry aux excès de son oeuvre contagieuse.

1991, 192 pages


JACQUELINE RISSET

PUISSANCES DU SOMMEIL

L'enfant a peur de s'endormir. Se glisser dans le sommeil, c'est faire confiance au noir, abandonner son corps
à un espace secret qui échappe au contrôle social et à toute maîtrise.

Pays de l'enfance, le temps du sommeil appartient à la chaleur du corps, à l'amour, à ses plaisirs, ses attentes et ses illusions. C'est du sommeil que le rêve tire son autorité, son « air indiscutable ». Le sommeil est la face cachée du rêve et son gardien. Mais comment faire pour rêver quand on a perdu le sommeil ? En son absence, la folie entre en scène. Réveiller quelqu'un, c'est l'arracher à un embrassement divin. Étrange et familier, le sommeil se joue du temps. Mystère de la raison, il est sommeil profond ou cauchemar.

Du sommeil d'Ulysse à l'éveil de Zarathoustra, Jacqueline Risset arpente la littérature, où l'on retrouve Dante, Honoré d'Urfé, Proust, Kafka, Pessoa, Bataille, Beckett... sans oublier le fidèle compagnon de la nuit, ce chat sur un coin d'oreiller.

Récits d'enfance, souvenirs intimes, amours d'adolescence, sommeil conjugal, exaltations ou déceptions érotiques, méditations sur le sommeil, figure vivante et petite soeur jumelle de la mort, Jacqueline Risset allie légèreté, drôlerie et profondeur dans ce livre qui traverse les ombres de la nuit.

1997, 160 pages


DENIS ROCHE

DANS LA MAISON DU SPHINX

ESSAIS SUR LA MATIÈRE LITTÉRAIRE

D'un côté, il y a la littérature.

De l'autre, ce qu'on appelle des « essais », où l'on
s'approche, plus ou moins bardé de vertu et de vérité, sur
un terrain qui se voudrait découvert - et qui ne l'est que rarement.

Ce livre - que l'auteur a sous-titré « essais sur la matière littéraire » - est constitué d'une douzaine de textes dont la rédaction s'échelonne de 1969 à 1988.

L'auteur de Louve basse et des Dépôts de savoir et de technique s'y montre préoccupé, agité même (les textes sur Blake et Ponge) à l'endroit de l'interrogation essentielle qui presse si activement la littérature. Agitation de celui qui s'approche, énervement de la matière qui voit l'intrus s'approcher. Le Sphinx n'est jamais loin.

On verra que, dans certaines pages, l'intrus, outrepassant les droits de l'essayiste, rejoint très simplement le lieu de l'énigme : l'observateur, ayant fait quelques pas de trop, s'est retrouvé dans cette zone de calme étrange où tout devient possible : dans l'oeil du cyclone, c'est-à-dire à l'intérieur de la littérature.

1992, 224 pages


CHARLES ROSEN

AUX CONFINS DU SENS

PROPOS SUR LA MUSIQUE

Plaisir à la fois intellectuel et physique, la musique se trouve aux confins du sens et du non-sens.

Pour comprendre la musique occidentale, il est impossible de se passer de l'analyse et de l'histoire sociale et
culturelle d'une oeuvre ou d'un style. Il est évident que Beethoven a transformé notre façon d'écouter Mozart. Même une esthétique qui proclame l'autonomie des oeuvres d'art ne peut être délivrée de l'histoire, car les postulats de cette esthétique résultent eux-mêmes de l'histoire.

Il n'empêche. La proximité du non-sens, c'est-à-dire le refus de toute signification fixée d'avance, est une condition essentielle à toute approche de la musique. Plus encore que la littérature ou les arts visuels, la musique ne peut être limitée à aucun système d'analyse ou d'interprétation, qu'il soit musical ou historique.

Il est bien naturel de chercher hors de la musique, ou au-delà, ce qui peut pour un temps lui faire porter une signification précise. Mais la musique ne reconnaîtra jamais la primauté du contexte auquel on la subordonne trop commodément, fût-il social, historique ou biographique.

En paraphrasant la mise en garde grandiose de Goethe aux savants, on peut dire : ne cherchez pas derrière les notes, elles sont elles-mêmes la doctrine.

Traduit de l'anglais par Sabine Lodéon.
1998, 176 pages


FRANCIS SCHMIDT

LA PENSÉE DU TEMPLE DE JÉRUSALEM A QOUMRÂN

IDENTITÉ ET LIEN SOCIAL DANS LE JUDAÏSME ANCIEN

Longtemps le judaïsme ancien fut considéré comme une préparation au christianisme ; les manuscrits de Qoumrân ont d'abord été lus comme les premiers balbutiements d'un évangile naissant. Plus de quarante ans après les découvertes de la mer Morte, l'archéologie et l'étude scrupuleuse des textes rendent caduque une vision « christianocentrée » de l'histoire du judaïsme.

Quand la société juive est confrontée à la colonisation grecque et à la puissance romaine, son identité est en crise, le lien social menace de rompre. Pourtant, si l'on fait le choix de l'histoire lente et des structures profondes, si, par-delà les élites politiques et les scribes, on interroge les anonymes et les sans-grade, alors parmi les institutions qui maintiennent la cohésion sociale apparaît en premier lieu le Temple : non seulement le Temple comme édifice, avec ses prêtres et ses pèlerins, sa police et ses cuisines ; mais aussi le Temple comme pensée, avec ses catégories du pur et de l'impur, du sacré et du profane, qui s'étendent au-delà des limites du sanctuaire à l'ensemble du pays, de l'autel sacrificiel jusqu'aux tables quotidiennes.

Les premiers à avoir définitivement rompu avec l'institution et les rites qui faisaient le socle de l'identité juive ne sont ni les esséniens de Qoumrân ni Jésus et les convertis du judaïsme, mais Paul et les chrétiens de la gentilité.

Ce qui prend fin le 29 août 70, quand le vent de l'histoire souffle en tempête, quand traditions et coutumes sont brisées, c'est le Temple de Jérusalem comme lieu de rassemblement de tout le peuple juif. Mais au-delà de cette fin, quand se reforme le judaïsme, demeure la pensée du Temple.

1994, 384 pages


MICHEL SCHNEIDER

LA TOMBÉE DU JOUR

SCHUMANN

Schumann est au soir de sa vie quand sa création est obscurcie par la folie. Au soir qui toujours avait coloré sa musique - singulièrement celle pour piano -, cette musique attirée vers le bas, le déclin, la dépression.

Le soir schumannien ne parle - sans mots - que d'une seule chose : la douleur, ici nettement opposée à la souffrance. Douleur qui prend les visages, ou les masques, de la disparition, du langage perdu, de l'étrangeté, de l'intime, des lointains.

La musique y apparaît comme cette voix légèrement fêlée ou voilée, loin du pleur comme de la plainte, qui sans cesse retombe à la nuit. C'est elle, la tombée du jour.

1989, 224 pages


MICHEL SCHNEIDER

BAUDELAIRE
LES ANNÉES PROFONDES

Baudelaire avait la passion des images et l'amour des portraits. On trouvera ici ceux qu'il fit des peintres, des photographes et des écrivains de son temps. Ceux qu'ils firent de lui, en miroir. Ceux qu'il achetait et revendait, et celui de son père, qu'il traîna toute sa vie. Un seul portrait manque : celui de lui-même, qu'il n'écrivit pas. Cet impossible portrait hante tout son oeuvre. L'homme aux images ne put peindre la sienne propre.

Rien n'eût été plus odieux à Baudelaire qu'un retour sur soi. Les années profondes ne sont pas les jeunes, les belles. Inscrites non dans la mémoire, mais dans le récit, elles sont le temps perdu, le temps regardé, le temps où il passait son temps à regarder, à ne pas écrire. Les années vers lesquelles il ne peut revenir qu'en images, pas en pensée. « La pensée du passé est une pensée qui rend fou », écrivit-il un jour à sa mère.

Voici Baudelaire, « toujours voyageant à travers le grand désert d'hommes », marchant parmi les tableaux et les mots, puis, à l'heure où les autres dorment, penché sur sa table,
s'escrimant jusqu'à ce que « les choses renaissent du papier ».

1994, 192 pages


JEAN STAROBINSKI

ACTION ET RÉACTION

Vie et aventures d'un couple

Pourquoi, dans la vie quotidienne, af?rme-t-on qu'une situation intolérable appelle une réaction ? Comment les biologistes en sont-ils venus à penser les rapports du vivant et du milieu en termes d'interaction? Pour quelle raison la psychiatrie a-t-elle adopté, il y a un siècle, la catégorie des affections réactionnelles ? Pourquoi le concept d'abréaction fut-il inventé puis abandonné par la première psychanalyse ? Que veut-on faire entendre, quand on déclare qu'une politique est réactionnaire ? Dire que le totalitarisme nazi fut une réaction au totalitarisme communiste, n'est-ce pas l'excuser ? Le mot « réaction » et ses dérivés offrent leurs services pour l'explication causale comme pour la compréhension par sympathie. Ils nous viennent à l'esprit quand nous cherchons des réponses à nos problèmes. Or ces mots, précisément, ne font-ils pas problème ?

C'est l'occasion, pour Jean Starobinski, d'examiner les ?lières intellectuelles à travers lesquelles le mot « réaction » et ses dérivés nous sont parvenus. Ce livre remonte au rôle que leur attribua la scolastique, mais aboutit aux interrogations qui entourent aujourd'hui la notion de progrès, sans laquelle la réaction politique ne peut être pensée. Il convoque aussi bien les philosophes (Aristote, Leibniz, Kant, Nietzsche, Jaspers), que les savants (Newton, Bichat, Claude Bernard, Bernheim, Freud) et les écrivains (Diderot, Benjamin Constant, Balzac, Poe, Valéry). L'ouvrage est une traversée originale de la culture occidentale: il éclaire successivement les fondements de la science et la protestation des poètes,
parcourant ainsi les chemins qui conduisent à nos perplexités présentes.

1999, 464 pages


ANTONIO TABUCCHI

LES TROIS DERNIERS JOURS DE FERNANDO PESSOA
UN DÉLIRE

Novembre 1935. Pessoa est sur son lit de mort, à l'hôpital Saint-Louis-des-Français à Lisbonne. Trois jours d'agonie, durant lesquels, comme dans un délire, le grand poète portugais reçoit ses hétéronymes.

Les hétéronymes étaient d'« autres que lui », des voix qui parlaient en lui et qui eurent une vie autonome et une biographie. Pessoa leur parle, leur dicte ses dernières volontés, dialogue avec les fantômes qui l'ont accompagné pendant toute sa vie.

Un récit à la fois romanesque et biographique (même s'il s'agit d'une biographie imaginaire), dans lequel Antonio Tabucchi, avec tendresse et passion, évoque la vie et la mort d'un des plus grands écrivains du XXe siècle.

Traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro.
Dessins de Júlio Pomar.
1994, 96 pages


ANTONIO TABUCCHI

LA NOSTALGIE, L'AUTOMOBILE ET L'INFINI

Lectures de Pessoa

C'est à l'automne 1964 qu'Antonio Tabucchi, étudiant à Paris, découvre en traduction française une plaquette avec un poème intitulé « Bureau de Tabac ». Son auteur : Fernando Pessoa. Depuis, les écrits du grand poète portugais n'ont jamais cessé d'accompagner la vie intellectuelle de Tabucchi.

à l'origine de ce livre, un événement qui prend place trente ans plus tard. Nous sommes à l'automne 1994 : Tabucchi est invité à faire quatre conférences aux élèves de l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris. Préservant le rythme vivant de ces rencontres, ce livre introduit à l'oeuvre de Pessoa.

Si Pessoa demeure aussi célèbre que méconnu, serait-ce parce que, « même s'il est là, Pessoa est toujours »ailleurs» ? » En lisant ses textes, en déchiffrant son univers, Tabucchi montre comment Pessoa, disant l'ordinaire de tout un chacun, explore l'intériorité de l'homme d'aujourd'hui.

L'absurde, la mauvaise conscience, le remords, le sens du mystère de la vie, l'indicible, l'inquiétante présence de l'Autre que nous portons toujours en nous (« notre part la plus
secrète »), la nostalgie du possible, tels sont quelques-uns des thèmes pessoens que Tabucchi éclaire dans ce livre.

Traduit de l'italien par Jean-Paul Manganaro.
1998, 128 pages


EMMANUEL TERRAY

LA POLITIQUE DANS LA CAVERNE

Au principe de ce livre, une conviction : les penseurs de la Grèce antique - et pas seulement Socrate, Platon et Aristote, mais aussi leurs interlocuteurs et leurs adversaires - ont encore quelque chose de fondamental à nous dire sur deux ou trois des problèmes majeurs de notre temps.

Pour explorer les débats où s'est formée la conscience politique occidentale, Emmanuel Terray convie les sophistes et les médecins de l'école hippocratique, il interroge l'histoire de Thucydide et le théâtre d'Euripide.

De chapitre en chapitre sont ainsi restituées les lignes de force d'une réflexion politique originale, dont les questions sont aussi les nôtres : quels sont les risques d'une démocratie qui reconnaîtrait sans réserve la souveraineté de
l'individu ? Peut-on assurer la cohésion et le salut de la cité sans invoquer une loi transcendante, celle de Dieu ou de la nature ? L'égalité est-elle une condition nécessaire à l'exercice des libertés civiles et politiques ?

1990, 450 pages


EMMANUEL TERRAY

UNE PASSION ALLEMANDE

LUTHER, KANT, SCHILLER, HÖLDERLIN, KLEIST

Après deux siècles d'affadissement, l'Absolu retrouve avec Luther son incandescence et sa vigueur sauvages. Puis Kant entreprend de dresser entre l'homme et l'Absolu une barrière protectrice, mais elle s'avère bientôt précaire et poreuse. Schiller fait de la réconciliation l'attribut majeur de l'Absolu, et installe celui-ci dans le passé et dans l'avenir ; nous pouvons donc nous en approcher par la mémoire et par l'espoir, mais cela ne suffit pas à sauver notre présent. Bravant les interdits de Kant, Hölderlin s'élance comme un nouvel Icare au-devant de l'Absolu, et retombe foudroyé. Kleist au contraire respecte scrupuleusement la frontière tracée par Kant, mais il découvre qu'à l'intérieur de la contrée ainsi délimitée la vie est impossible, et il en tire les conséquences.

La morale de ces histoires est à la fois banale et désespérée : nous ne pouvons pas vivre avec l'Absolu, et nous ne pouvons pas vivre sans lui. Refuser le divertissement, s'établir dans cette contradiction et en accepter les effets, telle est alors la voie que nous enseigne, pour le meilleur et pour le pire, cette « passion allemande ».

1994, 450 pages


JEAN-PIERRE VERNANT

MYTHE ET RELIGION EN GRÈCE ANCIENNE

Qu'est-ce qu'une religion sans dieu unique, sans Église, sans clergé, sans dogme ni credo, sans promesse d'immortalité ? Brosser le tableau de la religion civique des Grecs c'est, en s'efforçant de répondre à cette question, s'interroger sur le statut de la croyance dans ce type de commerce avec l'au-delà, sur les rapports du fidèle à ses dieux, sur la place restreinte qu'occupe l'individu dans cette économie du sacré.

Engagé dans les institutions de la cité, le religieux apparaît orienté vers la vie terrestre : il vise à ménager aux citoyens une existence pleinement humaine ici-bas, non à assurer leur salut dans l'autre monde.

Ce que la religion laisse en dehors de son champ et que des courants sectaires et marginaux prennent en charge, la philosophie se l'appropriera : élaboration du concept de transcendance, réflexion sur l'âme, sa nature, son destin, recherche d'une union de soi et de dieu en purifiant l'âme de tout ce qui n'est pas en elle apparenté au divin.

J.-P. V.

1990, 128 pages


JEAN-PIERRE VERNANT

ENTRE MYTHE ET POLITIQUE

Jeune antifasciste dans le Quartier latin des années 1930, grand résistant, militant luttant au coude à coude avec ses camarades, Jean-Pierre Vernant est également le professeur honoraire au Collège de France qui a renouvelé notre compréhension des mythes anciens.

Dans ce volume, l'auteur nous invite à un « parcours » entre mythe et politique où il retrace la formation et l'itinéraire du savant et de l'homme engagé dans le siècle. Mais
plutôt qu'une biographie intellectuelle à deux faces, Jean-Pierre Vernant montre combien, « dans la démarche du savant comme dans les choix du militant, les deux pôles opposés du mythe et du politique n'ont jamais cessé de se nouer ».

Le livre s'ordonne autour de divers thèmes, et notamment : les formes de croyance et de rationalité en Grèce ancienne et aujourd'hui, la religion comme objet de science, l'imaginaire et les manières de donner une présence à de l'invisible, l'actualité du tragique, les problèmes de mortalité et d'immortalité chez les Anciens, les mythologies et la longue vie des dieux grecs.

Les liens inextricables entre mentalité religieuse et rationalité politique, dans la cité antique comme dans nos États modernes, ont incité Vernant, à divers moments de son
itinéraire, à réfléchir sur l'expérience de la Résistance, le communisme, l'antisémitisme et les vieux démons du
fascisme.

1996, 648 pages


Catalogue

JEAN-PIERRE VERNANT

L'UNIVERS, LES DIEUX, LES HOMMES

Récits grecs des origines

Jean-Pierre Vernant raconte les mythes de la Grèce ancienne. Il évoque les origines de l'Univers, la guerre des dieux et les liens que l'humanité n'a cessé d'entretenir avec le divin. De la castration d'Ouranos aux ruses de Zeus, de l'invention de la femme au voyage d'Ulysse, des aventures d'Europe au destin boiteux d'OEdipe et à la course aux Gorgones, l'auteur nous fait entendre ces vieux mythes toujours vivants.

Jean-Pierre Vernant, qui a consacré sa vie à la mythologie grecque, nous permet alors de mieux en déchiffrer le sens souvent multiple. C'est à cette rencontre entre le conteur et le savant que ce livre doit son originalité.

Dans son Avant-propos, Vernant écrit : « Dans ce livre, j'ai tenté de livrer directement de bouche à oreille un peu de cet univers grec auquel je suis attaché et dont la survie en chacun de nous me semble, dans le monde d'aujourd'hui, plus que jamais nécessaire. Il me plaisait aussi que cet héritage parvienne au lecteur sur le mode de ce que Platon nomme des fables de nourrice, à la façon de ce qui passe d'une génération à la suivante en dehors de tout enseignement of?ciel.

« J'ai essayé de raconter comme si la tradition de ces mythes pouvait se perpétuer encore. La voix qui autrefois, pendant des siècles, s'adressait directement aux auditeurs grecs, et qui s'est tue, je voulais qu'elle se fasse entendre de nouveau aux lecteurs d'aujourd'hui, et que, dans
certaines pages de ce livre, si j'y suis parvenu, ce soit elle, en écho, qui continue à résonner. »

1999, 256 pages


NATHAN WACHTEL

DIEUX ET VAMPIRES

RETOUR À CHIPAYA

Nathan Wachtel raconte, avec tendresse et humour, ses retrouvailles avec les autochtones qui vivent non loin des cimes enneigées de la Cordillère des Andes, en Bolivie. Près de vingt ans après son premier séjour chez les Indiens Chipayas, bien des choses ont changé au village : l'intrusion de la modernité a défait peu à peu les cultes païens et transformé la religion des ancêtres. Pris dans l'engrenage des conflits actuels, l'ethnologue affronte, en compagnie des Chipayas, un univers de dieux et de vampires où se mêlent la quête messianique des sectes chrétiennes, les drames individuels et collectifs et l'intrigue policière.

Ce « récit de voyage » permet aussi de mieux comprendre la part de subjectivité qui anime toute enquête sur le
terrain. Car, par sa seule présence, l'ethnologue modifie le jeu des équilibres ou des déséquilibres du corps social dans lequel il s'est immiscé. Quel que soit son comportement, il n'est pas maître des interprétations auxquelles il donne prise : alors qu'il se voudrait sujet observant, il risque de se retrouver lui-même objet manipulé. Impossible de s'abstraire en pur regard extérieur.

Dans ses aventures aux confins d'un monde en voie de disparition, Nathan Wachtel dévoile sa nostalgie, évoque ses « tristes tropiques » tout en s'interrogeant sur le sens du métier d'ethnologue.

1992, 192 pages


CATHERINE WEINBERGER-THOMAS

CENDRES D'IMMORTALITÉ

LA CRÉMATION DES VEUVES EN INDE

La tradition indienne les exalte. On les appelle les satîs : elles se brûlent vives sur le bûcher funéraire de leur mari. De Strabon à Jules Verne, aucun rite indien n'a autant fasciné les étrangers. Mais de quoi s'agit-il ? Que se passe-t-il lorsque la satî, parée comme au jour de ses noces, s'apprête à célébrer un mariage de cendres ? Suivant son mari jusque dans la mort, l'épouse
vertueuse veut-elle offrir en spectacle rituel sa fidélité absolue, le sacrifice de soi comme preuve de son amour inconditionnel ? Renonçant au monde des apparences et à une forme illusoire du Soi, la satî aspire-t-elle à l'immortalité gagnée par la mort volontaire? Par quelles voies l'amour conjugal croise-t-il ainsi sa destinée avec la mort volontaire - et faut-il parler ici d'un sacrifice, d'un suicide ou d'un meurtre ?

Depuis la fin du XVIIIe siècle, la crémation des veuves est au centre d'un débat juridique et religieux qui déchaîne les passions en Grande-Bretagne et en Inde. L'ancienne puissance coloniale avait interdit « l'exécrable coutume » en 1829, sans parvenir à l'abolir complètement. Le tollé provoqué par l'immolation de Rup Kanvar, à Deorala, au Rajasthan, en
septembre 1987, donne la mesure des contradictions politico-religieuses que traverse l'Inde démocratique en cette fin de XXe siècle.

Parce qu'elle a mené ses enquêtes sur le terrain, au cours de missions répétées en Inde entre 1978 et 1993, Catherine Weinberger-Thomas permet de comprendre ce que fut et demeure jusqu'aujourd'hui un système de croyances, ce que peut signifier le symbolisme religieux, social et politique des satîs, ces veuves sanctifiées par les flammes d'un bûcher d'immortalité.

1996, 336 pages


NATALIE ZEMON DAVIS

JUIVE, CATHOLIQUE, PROTESTANTE

TROIS FEMMES EN MARGE AU XVIIe SIÈCLE

Elles étaient juive, catholique et protestante. Toutes trois citadines, filles de marchands et d'artisans au XVIIe siècle. Toutes trois nous ont laissé des écrits - témoignages de femmes engagées dans leur siècle.

Glikl bas Judah Leib, marchande juive de Hambourg et de Metz, mariée à deux reprises, est mère de douze enfants et auteur d'une fascinante autobiographie écrite en yiddish. Marie de l'Incarnation, née à Tours, veuve et mystique visionnaire, abandonne son fils pour devenir ursuline au Québec où, tout en apprenant l'iroquois, le huron et l'algonquin, elle fonde les premières écoles pour jeunes filles amérindiennes. Enfin, Maria Sibylla Merian, allemande et protestante radicale, fut à la fois peintre et entomologiste - ses expéditions pionnières nous entraînent jusqu'au Surinam. Natalie Zemon Davis, l'historienne qui nous a déjà raconté Le Retour de Martin Guerre, restitue la vie de ces trois femmes.

Également remarquables, ces femmes offrent bien des similitudes, même si tout les sépare. Car dans leurs trajectoires, chacune dit le poids de la religion, de la famille, les lourdeurs d'une société qui laisse peu de marge de manoeuvre aux choix personnels qui déterminent pourtant la vie de nos « trois héroïnes ».

Natalie Zemon Davis veut nous faire partager la vie de ces trois femmes européennes et des populations qu'elles côtoient. Sans jamais se priver de l'érudition nécessaire à ses démonstrations, puisant aux sources les plus inattendues, la grande
historienne de Princeton montre combien ces femmes, par leurs choix et leur détermination à persévérer dans leurs projets, éclairent l'aube de l'époque moderne.

Traduit de l'anglais par Angélique Levi.
1997, 400 pages




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