(...) Je sentis mieux cette réconciliation de l'âme et du corps sur la planche d'escrime que sur les livres, et par l'enseignement d'un vieil Alsacien, sorte de chat maigre, et qui pensait par le bouton de son fleuret. Par la sévérité de cet homme vif, je connus quelquefois le bonheur de faire et de penser en même temps, de façon qu'il n'y avait point d'écart sensible entre le projet et l'exécution; vouloir toucher et toucher, ce n'était qu'un. Que cela fût la condition de la dernière vitesse, c'est ce que l'expérience montrait bien. Mais la sagesse des maîtres d'escrime portait plus loin encore la leçon; car ils appellent tireurs de moyens ceux qui, par la structure de leur corps, exécutent vite ce qui leur est prescrit ou ce qu'ils ont décidé; mais, par opposition, ils appellent tireurs de jugement, mot admirable, ceux qui conçoivent en exécutant, c'est-à-dire qui pensent par leur corps tout entier. Voilà donc, en cet exemple, le jugement qui coïncide, en toutes ses parties, avec le sentiment.