LES SECRETS DE L'ÉPÉE - PAR LE BARON DE BAZANCOURT




QUATRIÈME SOIRÉE.




I

    Le lendemain, je continuai ainsi :

     L'assaut, c'est la vie du tireur d'armes, pleine de dangers sans cesse renaissants, d'écueils à surmonter, de ruses à combattre, de pièges à éviter; c'est bien la vie avec ses illusions, ses désenchantements, ses coups inattendus, ses victoires et ses défaites.

     Quelle série innombrable de conseils, de ruses prévues et imprévues j'ai lu dans les traités, bagage bien lourd et souvent impuissant,

     La mère Spartiate disait seulement à son fils, lorsqu'il partait pour le combat :

     « Sois fort, sois courageux, sois prudent. »

     Ces mots ne renfermaient-ils pas tout ?

     De près ou de loin, les combats se ressemblent, depuis les jeux de l'enfant au collège, jusqu'aux opérations militaires les plus stratégiques, et tous les conseils se résument dans cette loi éternelle de l'attaque et de la défense, qui s'appelle: ruse, - prudence, — énergie, — audace,

     Tromper son ennemi, l'attaquer à propos ; c'est le secret des combats.
    Se méfier des embûches qu'il peut vous tendre ; - avoir à la fois la prudence qui déjoue les pièges, l'énergie et l'audace qui triomphent des difficultés ; - chercher à inspirer à son ennemi une téméraire confiance ; — tourner les obstacles que l'on ne peut aborder de front ; — feindre d'attaquer sur un point, lorsque l'on veut au contraire réunir tous ses efforts sur un autre; — se montrer faible, là où l'on est fort, pour attirer son adversaire de ce côté ; — masquer ses projets ; — dissimuler ses approches, — puis surprendre par l'élan soudain de ses attaques, et, si l'on ne triomphe pas, se ménager une retraite sûre ;
    N'est-ce pas, depuis les temps les plus ancien, la règle de tous les grands capitaines qui ont dirigé des armées?

     C'est la science des champs de batailles. — C'est celle aussi des combats d'homme à homme.
    Pourquoi ? — Parce que l'habileté, le stratagème, la science, peuvent changer de nom, mais jamais d'essence.

     Les véritables conseils, les voilà : — le reste appartient il l'inspiration, il cette intuition secrète qui se décuple au moment du danger, qui nous avertit et nous guide.

     Il me semble que l'on veut donner trop de droit à l'étude, pas assez à l'intelligence de chacun.

     Si cette intelligence, que les leçons ont façonnée, dirigée, est assez étroite pour ne rien deviner, ne rien saisir au vol, et ne s'inspirer de rien ; n'attendez d'elle quoi que ce soit ; — elle restera muette à vos conseils qu'elle s'empressera d'oublier.

     C'est le point où commencent à se diviser les deux écoles dont je vous ai déjà laissé entrevoir les différences. — Nous ne reviendrons donc pas, sur l'ensemble des idées générales, vous les connaissez déjà.

II

     S'il vous était donné, par un retour sur le passé, d'assister à un des assauts que donnaient les professeurs d'escrime il y a seulement cinquante ans, quelle différence vous trouveriez avec la méthode même la plus scrupuleusement académique de nos jours ; — celle-là, à coup sûr, serait appelée révolutionnaire.
    Il n'est pas loin de nous, le temps où l'on décorait une veste d'armes d'un beau coeur rouge sur la poitrine, comme pour indiquer aux yeux de tous la place où les coups devaient porter. Les attaques, les parades, les ripostes étaient d'avance circonscrites dans un cercle limité. — Un coup qui déviait de ce centre, était réputé exécrable et accueilli avec le plus profond dédain.

     Aujourd'hui, on a bien voulu se départir un peu de cette grande rigueur et accepter, par exemple, le coup qui vous frappe à l'aine ; — mais le ventre, le bas-ventre : «  où voulez-vous, disent encore le plus grand nombre, que j'aille chercher votre lame par là ? — Le ventre, bon Dieu ! que vient-il faire dans une question d'art ?
    «  Au lieu d'être dans une salle d'escrime, serions-nous, par hasard, dans une salle de clinique ?

     Vous riez, et je vous assure pourtant que ce n'est ni une raillerie, ni une plaisanterie. — Certes, toute blessure qui atteint cette partie du corps si dédaignée est presqu'à coup sûr mortelle ; n'importe, on oublie que l'assaut, c'est le combat à armes courtoises, mais le combat. Étrange erreur dont on veut bien se dépouiller sur quelques points, à la condition de la conserver intacte sur certains autres. — Pour la plupart, c'est une concession faite à grand regret.
    Que vous dédaigniez un coup dans la cuisse ou dans l'avant-bras, cela se conçoit ; et que toute votre attention tende à garantir les parties du corps où sont placés les organes essentiels de la vie, — très-bien !
    Mais ne pas entourer de vos soins les plus vigilants, de vos parades les plus sûres, de vos appréhensions les plus grandes, la poitrine et le ventre, — ce qui constitue le corps enfin ; — c'était et c'est encore une aberration que quelques-uns voudraient en vain ériger en dogme inattaquable, en mettant, je le répète, une ligne de démarcation entre l'assaut avec un fleuret boutonné et le combat avec une épée.

     Cette différence, elle existe ; — Car le jeu n'est toujours, malgré tout, qu'une image incomplète de la réalité. — Tendez donc plutôt à faire disparaître cette différence en ne laissant pas à l'ignorance ou à la brutalité des chances qu'elles croient trop certaines.
    Montrez-leur que vous avez réponse à tout, aussi bien aux savantes combinaisons qu'aux agressions désordonnées et fantasques d'une épée inhabile.

III

    N'entendez — vous pas souvent répéter cette phrase :

     «  Je fais cela dans un assaut, je me garderais bien d'agir de même sur le terrain.  »

     Et pourquoi alors le faites-vous ? — Si vous jugez le coup bon, il est bon partout — S'il est mauvais, il n'est bon nulle part.

     Apprenez à vous garer surtout des atteintes qui peuvent, sur le terrain, avoir une issue fatale ; et si le malheur veut que vous vous trouviez un jour une épée véritable à la main, que ce soient des ennemis contre lesquels vous êtes déjà habitué à vous prémunir.

     Je ne saurais trop insister sur ce point.

     Ainsi, ne pas admettre les coups dans la ligne entièrement basse, c'est-à-dire, à partir du flanc au bas-ventre, c'est une erreur aussi dangereuse que grossière. — Pourquoi un coup dirigé dans ces régions ne serait-il pas, dans son espèce, aussi brillant, aussi estimable ? — Pourquoi, s'il vous plaît, l'avez-vous frappé d'interdit ? — Pourquoi le renier comme un faux frère ?

     «  — Le professeur, que nous avions au collège, me dit le maître de la maison, vous déchirerait à pleines dents, s'il vous entendait parler ainsi.  »

     «  Ce n'est pas au moins, repris-je, que j'aime les coups dans la ligne basse plus que les autres ; mais plutôt parce que je les crains davantage, et qu'ayant été exposé à faire des armes avec des tireurs bons et mauvais, j'ai vu combien il fallait se méfier de ces dangereux écarts.
    Ainsi, — les tireurs qui tendent l'épée en rompant, baissent presque toujours la main, et la pointe de leur arme se trouve dirigée volontairement ou involontairement vers la ligne basse. — C'est là aussi qu'atteignent inévitablement ceux qui, à tort ou à raison, se fendent en arrière sur votre attaque, en couchant le corps horizontalement, afin d'éviter en se dérobant le coup que vous leur avez porté. C'est là presque toujours que touchent les ignorants, sans le savoir et sans le vouloir.
    Défendez-donc sévèrement l'accès de cette partie du corps, comme vous défendez celui de la poitrine ; et, par suite du même raisonnement, inquiétez souvent de ce côté ceux qui négligent d'y faire bonne garde.

IV

    Les choses les plus inusitées à une époque deviennent souvent les plus appréciées à une autre, de même que celles autrefois en honneur peuvent plus tard tomber en complet discrédit. Ainsi, je lisais hier dans un vieil in-folio poudreux que j'ai trouvé relégué au coin le plus obscur de la bibliothèque, et appelé : Académie de l'Espée [1], des pages entières consacrées à l'enseignement du coup de pointe dans l'oeil droit : car alors on enseignait également les coups de taille et les coups de pointe.

     Que dites-vous d'un coup dans l'oeil ? — Feuilletez mon in-folio, vous y trouverez grand nombre de dessins représentant toutes les passes par lesquelles on peut arriver à cet heureux résultat.

     Aujourd'hui, vous savez la valeur que l'on attache à un coup au visage, c'est-à-dire sur le masque ; — à tort encore on ne s'en préoccupe même pas. Aussi, je ne désespère point dans un jour de révolution de voir le bas-ventre détrôner il son tour la poitrine. — Alors ce serait trop ; aujourd'hui ce n'est pas assez. — Mais les révolutions savent-elles jamais ce qu'elles font !

     Dans l'assaut, ce qu'il faut avant tout, c'est être soi-même, c'est apporter sa personnification, et ne pas croire qu'il faille réciter, page à page, le livre de ses leçons, mais bien puiser dans sa propre individualité ses inspirations.

V

    Si quelqu'un venait me demander conseil, je lui dirais, comme règle non invariable, mais au moins générale :

     «  Restez autant que vous le pourrez sur la défensive, en vous tenant hors de mesure pour empêcher votre adversaire de vous attaquer de pied ferme, et le contraindre de marcher à l'épée, l'action la plus dangereuse, et certainement la science la plus difficile à acquérir. — Si l'on attaque sans cesse de pied ferme, à exacte mesure, sans rompre, ni avancer par mouvements inégaux et soudains, sans chercher à surprendre, à étonner par des combinaisons imprévues ; — c'est agir, selon moi, sans le moindre jugement, — c'est le contre-sens le plus étrange.  »
    À celui-là donc qui me demanderait conseil, je dirais encore :
    «  Presque toujours, rompez en parant, ne fût-ce que d'une demi-mesure ; il y a tout avantage à le faire, et je n'y vois d'autre inconvénient que d'être le plus souvent très-désagréable à celui qui vous attaque.
    «  Les bénéfices, au contraire, sont nombreux.

     «  En rompant, je viens en aide à l'efficacité de ma parade, je double, pour ainsi dire, la vivacité de la main par la retraite du corps.

     «  Si l'attaque a été faite avec plus de rapidité que la parade n'a été exécutée ; en rompant, je pare deux fois : — la première avec mon épée, qui cherche l'épée adverse ; — la seconde avec mon corps, qui, en s'éloignant, maintient la distance, et fait que le coup qui m'eût atteint, si je fusse resté de pied ferme, n'arrive pas à ma poitrine.

     «  Contre les attaques simples, on atténue, en agissant ainsi, leur rapidité d'exécution.
    «  Contre les attaques composées, ou les feintes, on rencontre forcément la finale, et l'on oppose également par ce moyen une digue aux attaques faites en retirant le bras : car souvent, en restant de pied ferme, la main part trop tôt, et votre fer ne rencontre devant lui que le vide.
    «  Ce système augmente en outre la confiance du tireur en soi-même.

     «  Ne croyez pas qu'il nuise à la riposte ; il la rend plus sûre et plus facile.
    «  Presque toujours, lorsque l'attaque a été franchement développée, si le tireur (ce qui arrive souvent) ne se relève pas aussitôt, les deux corps se trouvent alors si rapprochés l'un de l'autre, qu'il est très-difficile de placer sa riposte sans raccourcir le bras, et s'exposer ainsi à une remise.

     «  Une parade et une riposte de pied ferme ont certainement leur mérite, je n'en disconviens pas ; mais contre les tireurs de différentes et difficiles sortes que l'on peut être appelé à combattre, il faut ne l'essayer que de temps en temps et presque à coup sûr. — En faire la base systématique de son jeu, serait, selon moi, dangereux et sans raison.  »

VI

    Si j'appuie, messieurs, d'une façon toute particulière sur ce point, c'est que j'ai presque toujours vu tenir en très-grand honneur la parade de pied ferme, tandis que la parade, en rompant, est regardée, le plus souvent, comme une ressource in extremis, dans laquelle on cherche un dernier refuge, lorsque la main manque de vitesse, ou que le jugement a fait défaut.
    C'est se donner deux avantages au lieu d'un, sans perdre aucune des qualités requises, soit de beauté même académique, soit de régularité ; et je me demande pourquoi on se refuserait deux chances de sécurité, pour n'en garder qu'une seule à son service.

     Donc j'intervertirais les rôles, et je dirais :

     «  En général et par principe, parez en rompant, soit d'une demi-mesure, soit d'une mesure entière, selon l'élan de votre adversaire : — car je n'entends pas, par rompre, éviter un coup par une fuite perpétuelle et précipitée.
    «  Parez quelquefois de pied ferme, mais lorsque vous serez certain d'avoir amené cet adversaire à développer une attaque que vous attendez depuis longtemps.  »

VII

    Entre deux tireurs qui ne se sont pas entendus ou préparés à l'avance, je crois peu à un enchaînement prolongé de parades, ripostes et contre ripostes ; et pour dégager l'esprit autant que possible d'un inutile fardeau de préoccupation, — là encore, je chercherais à simplifier, plutôt qu'à varier.

     Ainsi, suivez mon raisonnement, messieurs.

     Si un tireur doit se préoccuper des différentes lignes dans lesquelles il peut être attaqué, sa pensée sans cesse en éveil se demande si le fer ennemi se présentera en dedans, — en dehors, — en dessus, — en dessous. Il faut donc pour parer utilement et avec justesse, attendre que l'attaque ait indiqué clairement son intention. — Si cette attaque est simple, si la main qui l'exécute est prompte, elle a sur vous une priorité d'élan incontestable. Quelques tireurs doués d'un tact excessif, pourront seuls deviner l'intention de leur adversaire et entrer, pour ainsi dire, dans sa pensée.
    Cherchez, au contraire, une parade qui parcourt mécaniquement toutes les lignes ; elle devra rencontrer forcément le fer ennemi dans celle qu'il aura choisie. — Dès lors votre appréhension diminue, votre esprit est plus tranquille, plus fermement assis dans sa volonté ; vous n'avez plus ni incertitude, ni indécision.

VIII

    Deux sortes de parades, parmi celles que je vous ai énumérées dans notre dernier entretien, peuvent également remplir ce but.

     L'une consiste à parer tierce, ou contre de tierce, — coupé et battement d'épée en quarte.
    L'autre à parer soit contre de tierce et contre de quarte successivement, et vice versa, ou contre de quarte et cercle.

     Ces parades bien simples, quoique composées par le fait, parcourent avec rapidité dans leur ensemble les différentes lignes accessibles à l'attaque.
    Choisissez celle vers laquelle vous serez plus instinctivement porté ; ce sera celle-là évidemment que vous exécuterez le mieux. — Si vous Je voulez même, faites tantôt l'une, tantôt l'autre.

     «  — Mais si l'on me trompe à cette parade, interrompit le comte de R...?

     «  — L'escrime vit de loyales perfidies. — Les attaques peuvent être parées, comme les parades peuvent à leur tour être trompées ; c'est le sort qui les attend tôt ou tard, et la victoire teste au plus agile et au plus rusé.

     «  — Si un professeur pouvait inventer une attaque impossible à parer, ou une parade qui ne pût être trompée, je lui conseillerais de courir bien vite prendre un brevet d'invention, et il pourrait dans toutes les capitales du monde civilisé vendre cher son secret.

     «  Tenez, — je vous ai dit, je crois, l'autres jour, que la force d'un tireur consistait, selon moi, bien plus dans l'à-propos de son jugement et dans la vitesse de sa main, que dans la variété de son jeu ; cela est tellement vrai, que le plus grand nombre des tireurs. qu'ils soient amateurs ou professeurs, affectionnent certains coups, soit en attaques, soit en parades, soit en ripostes, et y reviennent toujours, comme vers des amis véritables sur lesquels on ne saurait trop compter.

     «  Au milieu des phases diverses d'un assaut, les mêmes coups souvent ne se ressemblent pas ; ils varient de forme, et se modifient dans leur exécution, selon l'individualité du tireur que l'on combat ; — c'est là, leur grande force.

     «  Si parmi vous, messieurs, quelques-uns n'ont pas touché un fleuret de leur vie, il y en a aussi qui ont étudié l'escrime et qui sont connaisseurs et tireurs habiles ; — c'est à ceux-là que je m'adresse aujourd'hui.

     «  Donc, poursuivant mon raisonnement, je prends la parade la plus simple, celle de quarte. — Combien de fois ne varie-t-elle pas ? — Combien de fois ne se transforme-t-elle pas ?
    «   Légère avec celui-ci, — vigoureuse, violente presque avec celui-là, — haute ou basse, se prêtant à toutes les exigences et répondant à tous les appels.
    «  Suivez-là ; — tantôt elle quitte subitement le fer après l'avoir rencontré, — tantôt, au contraire, elle le maintient et le domine.
    «  C'est cette variété, cette transformation dans l'exécution qui constitue le vrai tireur .

     «  Celui, je vous le répète, qui se contente de réciter une leçon apprise, quelque couramment qu'il la sache, ne sera jamais qu'un élève, rien de plus, ou un perroquet ; — il peut choisir.  »

IX

    Je lisais dans un de ces vieux traités qui dorment oubliés au fond de votre bibliothèque, mon C..., ces quelques lignes que j'ai notées parce ce qu'elles m'ont frappé :

     Car combien que la loy de suivre les mouvements naturels doive estre inviolable, toutefois, il faut entendre que la nécessité n'en a nulle, et qu'elle enfonce toutes loyx quelque stables qu'elles puissent être.

     Ceci date de 1600.

     Il ne faudrait certainement pas abuser de cette maxime un peu large ; mais en user, surtout en armes, me paraît bon et utile.

     Vous le voyez, messieurs, je cause avec vous un peu au hasard, suivant les idées comme elles me viennent, mais cherchant surtout à appeler votre attention, sur tous les points qui me paraissent avoir quelque importance,

     Après les parades viennent les ripostes. — Sur ce sujet quelques mots suffisent.

     N'oubliez jamais que la parade et la riposte sont deux soeurs jumelles, qui, loin l'une de l'autre, perdent l'essence même de leur vitalité.
    La riposte doit être tellement liée à la parade, qu'elle peut en être regardée comme la seconde partie.
    Donc, en principe général, ripostez dans la ligne, où vous avez rencontré l'épée.

     En changer, c'est perdre du temps ; — c'est souvent laisser à votre adversaire la possibilité de se reconnaître, de remiser ou de redoubler. — Surtout ne retirez jamais le bras, car alors votre riposte est perdue ; — c'est de l'or que vous jetez sur le pavé.

     Si vous avez jugé que votre adversaire vous attend dans la ligne directe, et que son attaque n'avait pour but que, de vous y entraîner, ou si vous avez remarqué qu'il se couvre puissamment de ce côté, en vous laissant libre accès dans une autre direction, alors évitez le piége par un dégagement ou un coupé ; mais ne faites qu'une feinte, jamais deux. — Car dans ce dernier cas, si vous réussissiez une fois, ce serait une victoire qui pourrait plus tard vous coûter cher. — À toute chose, il faut savoir mettre le prix, et ne pas être trop prodigue, si l'on ne veut finir par se ruiner à coup sûr .

X

    Notre conversation aujourd'hui, repris-je après un instant de silence, si elle n'a pas été longue, a du moins été très-sérieuse. — Je me plains seulement de n'avoir pas été assez interrompu.

     «  — Nous vous avons écouté, dit le comte de R..., et écouté avec grande attention, car, vous l'avez dit, le point que vous traitiez était capital.

     «   — Eh bien ! mon cher, repris-je, si vous étiez président d'une cour quelconque et que vous dussiez résumer les débats en quelques mots, que diriez-vous ?

     «  — Je les résumerais très-clairement, répondit le comte de R..., je dirais :

     «  La leçon, c'est l'étude. — L'assaut, c'est la personnification du tireur livré à son inspiration.
    «  Les seuls conseils que l'on puisse donner, ce sont ceux qui ont régi de tout temps l'attaque et la défense.
    «  Dans l'attaque, l'énergie jointe à une prudence sagement raisonnée. — Dans la défense, la fermeté, la ruse, la confiance en soi.  »

     Puis, passant de l'ensemble aux questions de détails, c'est-à-dire d'exécution, j'ajouterais :

     «  Un grand tort, une grande erreur, c'est d'avoir frappé, pour ainsi dire, d'interdit les coups dans les lignes entièrement basses, ce qui n'habitue pas à garder sévèrement ces parties du corps où, dans une rencontre sérieuse, le fer ennemi peut vous atteindre d'un coup mortel.
    «  Parez généralement en rompant pour donner à la parade une double sécurité, et à la riposte plus de liberté d'action. — Faites-le de pied ferme, lorsque vous croirez avoir jugé un coup, et tenir votre adversaire dans une impasse dont il ne peut s'échapper.

     «  — Mon cher, interrompis-je, vous résumez admirablement ce que je viens de vous expliquer en détail, et vous traduisez ma pensée avec une grande clarté.

     «  — Merci du compliment, me répondit le comte de R..., je termine :

     «  Pour laisser à l'esprit sa liberté de pensée entière, et ne pas le tenir sous le poids d'une préoccupation perpétuelle, employez en général une parade composée qui, parcourant toutes les lignes, doit y rencontrer forcément l'épée. — Ripostez toujours dans la ligne droite, évitez surtout les feintes qui permettent les remises et les redoublements. — Est-ce bien cela ?

     «  — Au grand complet, cher maître. — Demain nous parlerons de l'attaque ; et à ce sujet nous nous occuperons de ce qu'on appelle : — le sentiment du fer.
    «  C'est un souverain que l'on voudrait faire absolu, et auquel je voudrais bien demander pour un confrère de très-noble maison une petite part de son trône et de sa couronne.  »


[1]

     Académie de l'Espée, par Girard Thibault, d'Anvers, MDCXXVIII.


    
    

    
    
[ Suite : cinquième soirée | Table ]

    
    
Synec-doc votre éditeur sur Internet