Le meilleur des mondes

Article de Jozef Schildermans paru dans DATA NEWS No 5. le 9 février 1996.


Une technique d'encryptage bon marché et librement disponible se révèle importante pour la liberté non seulement du citoyen, mais aussi du commerce, écrivions-nous la semaine dernière. Internet offre en effet aux espions (tant l'État que n'importe qui) une possibilité de contrôle absolu sur les individus et les organisations. Le concept d'espionnage industriel prendra d'ailleurs une toute autre dimension à mesure qu'Internet se généralisera dans le monde des affaires. Un encryptage de qualité dans le Meilleur des Mondes d'Internet constitue le vaccin idéal contre le totalitarisme et l'espionnage économique.

Des programmes d'encryptage inviolables tels Pretty Good Privacy (PGP) risquent de donner de l'urticaire au pouvoir politique des divers États. Car même les pays démocratiques craignent que les citoyens puissent communiquer sans qu'il soit possible de vérifier le contenu de leurs messages. Dans des pays comme les États-Unis, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne, le débat fait rage à propos de l'encryptage. En effet, les propositions de loi prévoyant que l'État centralise les clés de codage et puisse les utiliser le cas échéant pour décoder les messages cryptés se heurtent à des oppositions violentes non seulement de la part de groupements de citoyens, mais aussi des banques et des acteurs économiques. Certes, les pouvoirs publics arguent du fait qu'ils pourraient ainsi contrer la pornographie enfantine, le trafic de drogues et les activités criminelles. De tels problèmes existent bel et bien (et pas seulement sur Internet d'ailleurs), mais quel criminel confiera sa clé codée aux autorités? Tout comme les criminels peuvent aujourd'hui se promener en toute impunité avec un téléphone sans fil, ils pourront utiliser demain des programmes d'encryptage illégaux.

Les services de renseignement militaires et civils sont en fait les grands promoteurs de ces projets convergents de mise sous contrôle de l'encryptage dans les démocraties occidentales. Et plus particulièrement l'OTAN qui cherche à contraindre ses membres de maîtriser au plus vite le trafic électronique. Certes, ces manoeuvres se déroulent dans le plus grand secret. Faut-il rappeler à cet égard comment le projet Belgium Information and Security (Belinfosec) des services de la politique scientifique du Premier ministre a été repris en main du jour au lendemain par les services de renseignements militaires? Une opération qui s'est déroulée précisément au moment où le débat sur le codage des messages électroniques a été lancé.

La Belgique détient d'ailleurs le triste privilège d'avoir été l'un des premiers pays de l'OTAN à interdire totalement l'encryptage des messages électroniques à moins de transmettre les clés de codage à l'Institut belge des postes et télécommunications (IBPT). Une interdiction qui a été approuvée sans la moindre discussion par le Parlement dans le cadre de la loi-programme du 21 mars 1991 (complétée le 21 décembre 1994). A noter que cette loi reste provisoirement inappliquée du fait que les arrêtés d'exécution se font attendre.

Il est inacceptable que cette loi soit un jour appliquée. Non seulement en raison des objections de principe formulées ci-dessus, mais aussi de par ses conséquences économiques. Si les banques et les institutions de crédit sont obligées de déposer leur(s) clé(s) auprès d'un organisme public, la Belgique se retrouvera exsangue au plan financier. Car aucun Belge digne de ce nom ne voudra encore confier son argent à une quelconque banque belge. Sans compter que la gestion de ses clés se révélera un véritable cauchemar, tant au plan organisationnel que financier. L'IBPT a déjà fait savoir qu'il n'appréciait nullement cette loi dont les conséquences semblent avoir échappé à ses initiateurs. Le Meilleur des Mondes a commencé en Belgique le 21 mars 1991!

Jozef Schildermans
jozef@datatestlab.com
Web-site of Data TestLab: http://www.innet.net/~jschild

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© 1995 Jozef Schildermans bvba, Oud-Turnhout, Belgium
Nous tenons à remercier l'auteur de nous avoir autorisé à diffuser son article sur le serveur de Synec-doc.