Un mot de Dumas

Dumas un jour entre dans un salon. L'un de ses ennemis (et il n'en manquait pas, envieux et fielleux de tout poil) le voyant arriver change de conversation et se lance dans une savante dissertation sur les « nègres », comme l'on disait alors. Plaisanteries fines d'un racisme ordinaire.
Dumas ne bronche pas.

L'autre élargit sa démonstration aux colorés de tous horizons.
Dumas n'a garde de bouger, encore moins de répondre.
Enfin, n'y tenant plus, l'odieux personnage apostrophe directement notre auteur:

- Mais au fait, mon cher maître, vous devez vous y connaître, en nègres, avec tout ce sang noir qui coule dans vos veines.

Dumas replique alors, sans avoir à élever la voix au milieu d'un profond silence du salon dévoré d'anxiété:

- Mais très certainement. Mon père était un mulâtre, mon grand-père était un nègre et mon arrière grand-père un singe. Vous voyez, Monsieur: ma famille commence où la vôtre finit.

Biet (C.), Brighelli (J.-P.), Rispail (J.-L.), Alexandre Dumas ou les aventures d'un romancier, Paris, Gallimard, Coll. Découverte, 1986, p.75.

 
Portrait de Dumas, dessin de Lenoir Bib. Nat. Paris

M. Alexandre Dumas appartient à la race africaine d'Haïti. Son père, qui avait su mériter par sa bravoure à toute épreuve le glorieux nom d'Horatius Coclès de l'Empire, sentait couler dans ses veines soixante-quatre parties de sans européen et autant de sang nègre. M. Dumas, notre ingénieux écrivain ne relève plus de Saint-Domingue que pour trente deux parties de sa personne physique et morale, tandis qu'il en doit quatre-vingt-seize à l'élément gaulois ou franc; il est quarteron. son fils ne tient plus à Haïti que pour seize de ces parties, il est métis, et si lui-même, par voie de génération, perpétue sa race dans notre monde européen, ce dernier rejeton, en sa qualité de mamelouk, ne devra plus à la Nigritie que huit parties de son être.

Ibid., p. 95, citant Alexandre Bonneau, Les Noirs, les Jaunes et la Littérature française en Haïti.