- l'économie -
LE SYSTÈME TRUCK
Jusqu'au siècle dernier, il n'était pas rare que les ouvriers soient forcés d'acheter leur pitance dans les magasins de leurs propres patrons, marchandises et provisions y étant bien sûr vendues au prix fort. Plus l'employé travaillait, plus il s'endettait auprès de son employeur, plus il lui fallait travailler.
Aboli au XIXe siècle par acte législatif et périmé par l'accession des masses à la libre consommation, ce merveilleux système, dit système Truck, figurait tout récemment en bonne place au musée des aberrations que le Grand Capital a produites au cours de son histoire, mais il devient chaque jour plus difficile de ne pas conclure à son retour aux premièsres loges du misérable théâtre qui se produit actuellement sur la scène sociale et économique. À cette variante près qu'au lieu d'une poignée de salariés, ce sont des gouvernements et des pays entiers qui sont pris en otage, soumis à la tyrannie des politiques bancaires et des cotes de crédit. Le cercle embrasse plus grand, peut-être même ménage-t-il des corridors de réelle liberté, il n'en reste pas moins vicieux. La preuve, c'est que notre époque, qui n'a pas inventé la roue, excelle comme nulle autre à la faire rouler. Les moulins à texte moulinent, les internautes s'entrelisent, les éditeurs éditent, les chômeurs chôment, les patrons patronnent, les gouvernements gouvernent et les syndicats s'indiquent les routes de moins en moins nombreuses à emprunter. Cirque ou carrousel, le monde tourne à défaut de marcher. Et si mondialisation il y a, comme le claironne tout ce qui remue dans les hautes sphères de la " phynance ", c'est celle d'un mode d'exploitation qui passera sous peu pour naturel. C'est même parce qu'il est à la fois partout et nulle part qu'on ne peut rien contre un pareil système. Rien, sinon peut-être l'appeler par son nom. Dont acte.
Alain Charbonneau
paru dans Gnou no 3, avril 1997
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